Ports

Méditerranée : les hubs de transbordements se recentrent au sud

De Tanger Med à Damiette, les hubs de transbordement en Méditerranée convergent vers la rive sud. Les projets marocains et algériens confirment cette tendance.

Dans les années 90, le concept de hub portuaire est né de la volonté des armateurs. L’ambition est d’aligner des navires de grande taille entre les continents pour ensuite desservir avec des navires plus petits les marchés régionaux. Face à cette volonté, seuls quelques ports se dotent d’outils de grande taille pour entrer dans ce cercle des hubs.

Des hubs nés de partenariats

Cependant, chacun veut se positionner comme un hub. Les premiers investissements se réalisent sur la rive nord de la Méditerranée. Des ports comme Le Pirée, Malte, Gioia Tauro, Barcelone, Valence et Algésiras prennent le dessus. Ils investissent et nouent des partenariats avec des armateurs pour s’imposer. Alors, les grands hubs méditerranéens naissent. Algésiras avec APM Terminals (filiale de Mærsk) prend position dans le détroit de Gibraltar.  Au cœur de la Méditerranée, Gioia Tauro, avec Contship, et Malte avec le groupe CMA CGM, veulent faire valoir leur position centrale. Plus à l’est, Le Pirée émerge quand le groupe Cosco remporte la concession du terminal à conteneurs.

Tanger Med, premier port conteneurisé africain

Cependant, ces ports européens vont faire naître des ambitions sur la rive sud du bassin. Le premier à émerger sera Tanger Med. Le Maroc décide d’entrer en concurrence directe avec Algésiras. Le pays met tous les atouts de son côté en créant une société spéciale pour ce port. Face au premier armement mondial de l’époque, Mærsk, ses concurrents s’organisent à Tanger. Ainsi, le groupe CMA CGM rejoint un terminal à conteneurs géré par le manutentionnaire allemand Eurogate. Et même APM Terminals décide de poser un pied dans le port marocain. Rapidement, Tanger Med s’affiche comme le premier port conteneurisé africain en nombre de conteneurs manutentionnés. « Il devient la locomotive du continent », estiment les experts de la logistique portuaire africaine.

Damiette et Port Saïd profitent de leur situation géographique

Face au succès du port du royaume chérifien, l’Égypte emboîte le pas. Le gouvernement déploie des moyens pour faire de Damiette le contre poids oriental de Tanger Med. Situé à la sortie du canal de Suez, Damiette espère jouer un rôle pour tous les navires entrant en Méditerranée. Le port ambitionne de devenir la plaque tournante des conteneurs entre Suez et l’est de la Méditerranée. De l’autre côté du canal de Suez, à l’est, Port Saïd tente aussi de s’imposer comme un hub.

Le Maroc confirme ses ambitions portuaires

Les volumes qui transitent par la Méditerranée sont tels, abstraction faite de la crise actuelle en mer Rouge, que le Maghreb cherche à ravir encore des parts de marché à leurs concurrents européens. Ainsi, après Tanger Med, le Maroc développe un nouveau centre portuaire à l’est de la péninsule, dans la cité de Nador. Le Nador West Med ambitionne de devenir un port tourné essentiellement vers les vracs et les diverses. Cependant, l’activité grandissante à Tanger et la demande ont amené les autorités marocaines à créer sur le site un terminal à conteneurs. Avec un linéaire de quai de 1500 m, ce futur terminal sera exploité pour moitié par Marsa Maroc et pour l’autre moitié par un consortium entre Marsa Maroc et le groupe CMA CGM. Le premier navire est attendu en 2027.

Algérie : Djen Djen, reçoit un navire de 265 m

L’Algérie ne veut pas rester à la traîne. En premier lieu, le pays a créé un nouveau port dans la région d’Alger. Le port de Djen Djen, dont le terminal à conteneurs est confié à DP World. Le 3 novembre, le port a réceptionné son plus grand navire avec le MSC Tamara. D’une longueur de 265 m pour une largeur de 32 m, le navire de l’armement suisse vient confirmer la place du port dans le concert des hubs méditerranéens.

Djen Djen peut devenir un hub

D’ailleurs, dans sa description, l’autorité portuaire de Djen Djen rappelle que la géographie « confère un rôle privilégié au port pour être un hub. Le port est situé à 40 Km de la zone industrielle de Bellara, spécialisée dans la sidérurgie, à 350 km d’Alger et à 2 km de l’aéroport de Jijel Ferhat Abbas. Par ailleurs, il est le port le plus proche de Hassi Messaoud (900km) et des zones pétrolifères. »

Le refus de l’Algérie de recevoir des conteneurs depuis Tanger

Et le gouvernement algérien a été plus loin en 2023. Il a refusé l’arrivée de marchandises sur son territoire depuis le port marocain de Tanger Med. Une décision qui est intervenue dans un contexte politique tendu à propos du Sahara occidental. Pour les armateurs opérant avec les industriels algériens, il a fallu reconsidérer les schémas logistiques. Le port de Djen Djen s’est tout naturellement imposé comme une porte d’entrée, voire, un hub.

Cherchell : un projet incontournable

De plus, l’Algérie nourrit l’ambition de s’imposer au centre du bassin méditerranéen. Le projet du port du centre à Cherchell alimente les débats. Ce serpent de mer algérien peine à voir le jour. Dans une tribune publiée par El Watan en juillet, le Dr Lies Goumiri, ingénieur conseil en investissement et ancien directeur du projet du port de Cherchell à l’ANRPC, détaille l’importance de ce projet. « Il s’agit d’un projet incontournable. » Il appelle à engager en urgence ce projet par l’ouverture « d’un corridor entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, la construction de solutions logistiques. Cela offrira d’immenses opportunités à l’économie algérienne pour les besoins nationaux mais aussi pour une partie profonde du continent africain. »

Un point pivot dans les échanges intercontinentaux

Il appréhende ce port comme un « point pivot de l’Afrique au cœur des échanges commerciaux intercontinentaux. Aucune extension ou modernisation des ports actuels ne nous permettra d’atteindre cet objectif et que cela soit entendu et inscrit. » Le port de Cherchell doit s’intégrer dans l’ambition du gouvernement. « Les grandes décisions, comme Poutine pour l’agriculture russe ou le souverain marocain pour le port de Tanger Med, sont prises par la plus haute autorité d’un pays », écrit l’ancien directeur du projet. Alors, il imagine une croissance économique par « le renforcement notamment de ses infrastructures portuaires et des moyens logistiques, par sa compétitivité et son attractivité à travers la réalisation d’équipements modernes, accompagnés de services de qualité de rang international. »

L’effet ETS pour les hubs européens

Sur la rive nord du bassin méditerranéen, les hubs de transbordement regardent passer les navires. Malte, Algésiras et Le Pirée ne semblent plus entrer dans la bataille. Seul Terminal Investment Limited, filiale manutention du groupe MSC, continue de déployer des efforts pour redonner ses lettres de noblesse au port calabrais de Gioia Tauro. Plus discrètement, les autorités portuaires européennes paraissent abattues. La décision de la Commission européenne sur les ETS fait peser un risque lourd sur l’avenir des ports de l’UE.

Intégrer Tanger Med et Damiette dans les ETS

En effet, selon la règlementation, un navire qui reliera directement l’Europe depuis un autre continent devra s’acquitter d’une taxe pour les émissions de carbone. Or, si ce navire transborde une partie de ses conteneurs dans un port non européen avant de rejoindre l’UE, la taxe sera moindre. Face à cette décision, l’autorité portuaire d’Algésiras a invectivé la Commission d’intervenir. Elle a admis que Tanger Med et Damiette seront considérés à part. Pour les autres ports de la rive sud du bassin méditerranéen, l’idée de jouer la carte de l’économie face aux taxes carbone peut faire pencher la balance en leur faveur.

La Lybie s’invite dans le concert

Alors, l’avenir dira si le basculement des hubs du nord vers le sud du bassin méditerranéen se confirme. Il n’en demeure pas moins que des projets traînent dans les cartons. Ainsi, en Lybie le projet d’un port à Susah refait régulièrement surface. Le port s’oriente vers les exportations pétrolières mais aussi en hub de Méditerranée centrale. Cependant, dans ce dossier, l’économie doit prendre en compte la diplomatie. Enfin, la création de hubs au nord du continent africain se veut aussi comme une alternative vers l’Afrique de l’Ouest. L’idée de relier les pays enclavés comme le Niger, le Burkina Faso et le Mali depuis les ports algériens, tunisiens et marocains fait son chemin. Cette route voit ses kilomètres d’asphalte s’allonger. La principale barrière à faire des hubs portuaires en Afrique du Nord pour l’ouest du continent est la sécurité dans certaines régions du Sahara.