Politique

Ruby : l’incapacité européenne à répondre à une situation maritime complexe

Le Ruby, navire chargé avec 20 000 t de nitrate d’ammonium, est à l’ancre depuis le 25 septembre au large des côtes britanniques à la suite d’avaries. Un évènement qui pose des questions sur la capacité des pays européens à répondre aux situations complexes.

Le Ruby a chargé 20 000 t de nitrate d’ammonium dans le port russe de Kandalakcha, le 22 août. Une cargaison destinée à Malte. En route vers sa destination, le navire subi des avaries au gouvernail et une fissure dans la coque en traversant une tempête en mer Blanche. La Suède et la Lituanie refusent d’accueillir le navire en raison des risques. Le 25 septembre, le navire se met à l’ancre à 14 milles au large de la côte sud-est de la Grande-Bretagne.

Une « bombe flottante »

Depuis ce jour, le navire ne bouge plus. Une situation que les différents journaux européens montent en épingle. Le navire est une « bombe flottante » pouvant « créer une vague de plus de 30 m de haut s’il explose ». En effet, selon le conseil local de Medway, dans le Kent, l’explosion du Ruby pourrait s’étendre à des épaves datant de la Seconde guerre mondiale. Ainsi, selon Metro, une chaîne britannique, les conséquences de l’explosion du Ruby entraînerait l’explosion du SS Richard Montgomery, chargé de bombes, déclenchant par la même une vague de 1000 pieds (30 m). Une hypothèse qu’Éric Slominski, consultant et expert en marchandises dangereuses maritimes, imagine peu. « Le Ruby est à plus de 30 milles de ce navire.

La psychose née de l’explosion de Beyrouth

Il s’inquiète des comptes-rendus fait par la presse. « Les médias ont créé une psychose en se référant à l’explosion dans le port de Beyrouth. » Or, pour l’expert en marchandises dangereuses, la différence avec la situation du port de Beyrouth est importante : « à Beyrouth, il s’agissait d’ammonium, un produit destiné aux explosifs. Le Ruby est chargé avec du nitrate d’ammonium. Ce produit est explosif à 2%. Nous ne sommes pas dans la même configuration. »

Les ports français traitent des milliers de tonnes de nitrate d’ammonium chaque année

Et il rappelle que ce produit est transporté régulièrement. La consommation nationale de nitrate d’ammonium s’élève à environ 1,5 Mt par an en France. Elles sont produites localement mais aussi importées. Ainsi, par exemple, le site de Rouen d’Haropa Port, le port de Saint Malo et celui des Sables d’Olonne traitent chaque année plusieurs milliers de tonnes. Le nitrate d’ammonium est déchargé, stocké et expédié par route vers les centres de consommation sans qu’ils génèrent une telle psychose. De plus, « chaque jour nous avons des camions chargés de ce produit qui empruntent des ferries depuis Marseille vers la Corse. Ces flux ne suscitent pas de psychose », rappelle Éric Slominski.

Deux solutions proposées

L’heure est venue de régler ce problème. Deux solutions sont envisageables, selon l’expert en marchandises dangereuses. La première serait de mettre le navire à quai dans un port éloigné de la ville pour minimiser les risques et décharger dans de meilleures conditions de sécurité. La seconde option consisterait à décharger le navire sur rade avec des barges. « Il dispose de moyens de déchargement propres à bord pour procéder à ces opérations. » Des opérations qui auraient le mérite de minimiser les risques. « Le risque zéro n’existe pas en maritime mais nous pouvons minimiser au maximum les effets indésirables. »

L’incapacité des gouvernements à décider

« Aujourd’hui, l’équipage attend sans pouvoir intervenir. L’armateur s’est manifesté auprès des autorités pour trouver une solution. Il tente de calmer les autorités et de trouver des solutions pour remettre son navire en état de naviguer. » La solution est alors à apporter par la classe politique. La position du navire oblige la France, la Grande-Bretagne et la Belgique à trouver une solution. « L’Europe n’a pas imaginé cette solution. L’incapacité des gouvernements à prendre une décision est flagrante. » Et Éric Slominski s’interroge sur les motivations qui ont poussé la Suède et la Lituanie à refuser l’entrée du navire dans leurs ports.

Créer un groupe d’experts reconnus

Pour un responsable politique, qui a souhaité garder l’anonymat, cette situation peut faire jurisprudence. L’incapacité de la France à répondre à la situation tient surtout à son désintérêt pour le maritime. « Nous n’avons plus de personnes qui connaissent suffisamment les questions maritimes pour intervenir dans une situation de ce type. Il devient important de pouvoir répondre efficacement à des événements exceptionnels avec des professionnels expérimentés. » Et l’expert en marchandises dangereuses appuie dans ce sens. « Nous avons toujours considéré le transport de ces produits à l’aune de la règlementation du transport routier. Les experts maritimes en marchandises dangereuses ne sont pas reconnus. Il faut créer un groupe d’experts aptes à pouvoir trouver des solutions pour permettre aux politiques de répondre. »