Politique

Canal de Panama : les velléités américaines d’une reprise

Le 28 janvier, le Sénat américain a auditionné des responsables de la Federal Maritime Commission sur l’importance du canal de Panama pour l’économie américaine.

« Les États-Unis ont payé et construit le canal de Panama. Cependant, le gouvernement panaméen adopte une attitude injuste pour nos intérêts et tend à céder le contrôle de cette infrastructure à la Chine. » C’est par ces mots que le sénateur Ted Cruz a introduit le débat devant le comité en charge du commerce au Sénat. Cette réunion répond à une promesse du candidat à la Maison blanche, Donald Trump. Il a menacé de « reprendre par la force le canal de Panama. »

160 Mt pour les États-Unis

Le président de la Federal Maritime Commission, Louis E. Sola, a rappelé l’importance de cette voie maritime pour les États-Unis. « Plus de 40 % du trafic américain de conteneurs, évalué à environ 270 Md$/an, transite par cette voie navigable. En outre, le trafic de ce canal revêt un enjeu stratégique pour tous les types de trafic comme les vracs solides et liquides à destination et en provenance du pays. » Le président du World Shipping Council, Joe Kramek, a abondé dans ce sens. Il rappelle qu’en 2024, 160 Mt sont originaires ou destinées aux États-Unis.

Des modifications du système d’allocations

Dans ce contexte, la FMC s’est rendue au Panama en juillet pour s’entretenir avec le gouvernement panaméen et l’Autorité du canal de Panama. « Nous avons eu des discussions franches sur des sujets comme les projets d’amélioration du niveau des eaux, le processus d’appels d’offres pour les transits. Nous avons aussi abordé les questions liées à la hausse du coût du transit pendant la crise de 2023 et 2024 en raison du manque d’eau », continue le président de la FMC. Et, l’administration a obtenu des réponses indiquant que l’autorité du canal étudie des modifications du système d’allocations.

L’inquiétude de la présence chinoise

Outre les conditions tarifaires, les représentants de la FMC s’inquiètent de la présence chinoise au Panama. Les ports de Balboa et de Colon sont concédés à Hutchison Ports, basée à Hong Kong, et PSA, basée à Singapour. Pour le président de la FMC, « les États-Unis ne sont pas dépourvus d’options face à la présence croissante de la Chine et des entreprises chinoises au Panama. Nous ne sommes pas non plus dépourvus d’options en ce qui concerne le maintien de la viabilité du canal. » Alors, il propose plusieurs axes pour « reprendre la main » sur le canal.

Aider les entreprises américaines à s’implanter au Panama

En premier lieu, il préconise un support plus intensif des sociétés américaines qui souhaitent se développer au Panama. Avec les projets de développement du canal, « les sociétés américaines doivent apparaître en haut de la liste des appels d’offres. » En second lieu, il appelle à défendre l’autonomie de l’Autorité du canal. Il rappelle que les projets du canal de Panama sont décidés, en dernier ressort, par le gouvernement. Or, « le gouvernement du Panama apparaît à la 108è place des pays les plus corrompus sur 180. » Une accusation qui signifie que cette corruption s’’étend jusque sur les rives du canal. Alors, pour améliorer l’indépendance de l’Autorité, il souhaite qu’elle coopère mieux avec les États-Unis.

Des mesures coercitives

Le troisième axe de cette stratégie vise à examiner les conditions tarifaires du canal. La loi américaine autorise la FMC à se pourvoir contre des lois et règlements qui sont préjudiciables aux intérêts américains. Alors, si elle mène une enquête et juge les pratiques défavorables, « la Commission peut imposer des mesures correctives, y compris des amendes journalières et l’interdiction pour les navires battant pavillon panaméen de faire escale dans les ports américains. »

L’approche juridique de la politique de Donald Trump

Pour ces intervenants, l’intérêt pour le canal de Panama se place sur un terrain économique. Le Sénat a invité le professeur Eugène Kontorovich, de la Heritage Fondation. Son exposé a adopté un angle plus juridique. Il a mené une approche sur les violations du traité de 1977. Le texte prévoit la neutralité du canal par la non-discrimination des droits de transit, des frais de transit justes et équitables, la gestion exclusive du canal par les Panaméens, et l’interdiction de toute présence militaire étrangère.

Des ports gérés par une puissance hostile

Et cette neutralité du canal peut être défendue par les deux signataires. Alors, lors de la concession des ports à des sociétés chinoises, le Panama a-t-il violé la neutralité du canal ? Pour le professeur, « cette question n’est pas abordée par le texte. Il s’agit d’une des nombreuses questions qui restent à la discrétion des parties au traité. » Le professeur rappelle que la concession de ports au groupe Hutchison a pris une nouvelle dimension quand la Chine a intégré Hong-Kong. « Il apparaît que l’exploitation des installations proches du canal est sous le contrôle d’entreprises subordonnées à une puissance rivale, voire hostile. Elle est connue pour son intégration des secteurs civil et militaire et son utilisation du développement des infrastructures pour projeter une puissance mondiale. »

Pas de reconquête possible

Le juriste met des limites aux interventions. Il pose les bases d’une intervention armée. Elle peut se faire uniquement sur le Canal. Cette intervention doit répondre à une menace de la neutralité de la voie maritime. De plus, elle doit être temporaire. « Le Traité ne prévoit pas de disposition pour une reconquête du canal de Panama », insiste le professeur. Ainsi, il plante une épine dans le pied de l’administration Trump de « reprendre, par la force si nécessaire, le canal de Panama ».


Le canal de Panama : une histoire franco-américaine

Pour mémoire, la construction du canal de Panama a démarré sous l’égide de la France par Ferdinand de Lesseps. Le scandale financier en 1891 a interrompu le percement de cette voie maritime. Les États-Unis reprennent les travaux. Ils s’achèvent en 1914. En 1976, Jimmy Carter et le président du Panama, le général Torrijos Herrera, entament des négociations pour la prise en charge du canal par le Panama le 31 décembre 1999. Le 26 juin 2016, le gouvernement du Panama inaugure les travaux d’élargissement du canal avec un second jeu d’écluses. Outre sa fonction d’artère maritime entre les deux océans Atlantique et Pacifique, ce canal joue un rôle de réserve en eau potable du pays grâce à ses lacs.