Corridors et logistique

Les Houthis, nouveaux maîtres du jeu du shipping international ?

Après avoir engendré des perturbations sans précédent en attaquant les navires dans le détroit de Bab el Mandeb, les Houthis pourraient maintenant être à la manœuvre pour créer une surcapacité.

Le 22 novembre 2023, les Houthis prennent en otage le Galaxy Leader et son équipage. Ces rebelles yéménites décident alors d’attaquer tous les navires liés économiquement ou politiquement à Israël. Ils veulent ainsi peser dans le conflit entre Israël et Gaza. Après 14 mois d’attaques de navires avec des missiles, les Houthis se réjouissent de l’accord signé entre les deux belligérants.

Un long chemin avant un véritable accord de paix

Ainsi, avec la fin des hostilités dans la bande de Gaza, les rebelles yéménites ont décidé de mettre fin à leurs menaces. La route entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord par le canal de Suez va pouvoir reprendre. Xeneta tempère l’enthousiasme. « Un accord sur l’arrêt des combats ne signifie pas nécessairement un retour en mer Rouge. Si un cessez-le-feu constitue une avancée significative, il reste encore un long chemin avant un véritable accord de paix. »

S’assurer de la sécurité des marins

Cette prudence semble partagée par les armements. MSC annonce attendre avant de reprendre la route par le canal de Suez. « Les conditions de sécurité dans le canal de Suez ne sont pas claires. Afin de garantir la sécurité de nos marins et d’assurer la cohérence et la prévisibilité du service pour nos clients, MSC continuera à transiter par le Cap de Bonne-Espérance jusqu’à nouvel ordre », indique un communiqué de l’armement. Même son de cloche du côté de Mærsk. Le retour des navires par le canal de Suez se fera avec des garanties pour la sécurité des marins et des navires. Selon certains journaux, CMA CGM pourrait décider de rerouter des navires par Suez.

L’hésitation des transporteurs à reprendre le canal de Suez

Ainsi, après avoir perturbé le monde de la ligne régulière conteneurisée par leurs attaques, les Houthis ont, entre les mains, la capacité à créer une nouvelle désorganisation. En effet, en suspendant les menaces d’attaques, ils incitent les armateurs à un retour des liaisons par le canal de Suez. Alors, retour par Suez ou maintien de la route par le cap de Bonne-Espérance ? Selon Xeneta, le choix n’est pas si clair. « Les déroutements ne sont pas ce que souhaite l’industrie, mais la situation est stable et gérée. Il a fallu de nombreux mois pour parvenir à cette stabilité. Alors, les transporteurs hésiteront à retourner trop tôt en mer Rouge. De plus, si les choses tournent mal, ils reviendront à la case départ. »

Un retour par phases

Et les experts de Xeneta ne voient pas un retour en force. Les armateurs procéderont par phases. Dans un premier temps, ce sont les navires de moins de 10 000 EVP qui reviendront à cette route. « Il faut compter un à deux mois pour un retour complet des liaisons. » Par ailleurs, ce retour « à la normale » peut engendrer de nouvelles perturbations. Ainsi, entre les navires qui passent par le cap et ceux qui reprennent la route de Suez, les schedules vont être à la peine. Et Xeneta de prédire qu’il « faut s’attendre, dans les premiers mois, à un afflux massif de navires dans les ports en même temps. Cela entraînera des délais importants et des congestions. »

Un retournement de marché brutal

Parmi les conséquences les plus probables, les observateurs s’accordent pour prédire une hausse des taux de fret. Upply, dans ses prévisions pour 2025 explique. « Si cette hypothèse se concrétise (la fin des attaques des Houthis, ndlr), le retournement de marché sera extrêmement brutal, avec une surcapacité explosive. Les compagnies risqueraient alors fortement de commercialiser l’espace à des tarifs inférieurs aux prix de revient. » Drewry ajoute que le retour par le canal de Suez peut entraîner un recours à des blanks sailings plus importants.

La baisse de la demande en EVP-mile

Une analyse partagée par Xeneta. « Les taux de fret spot deviendront volatiles. » En effet, même si la demande augmente de 3% en 2025, un retour par le canal de Suez signifiera une baisse de la demande en EVP-mile de 11% par rapport à 2024. Alors, conjugué à des arrivées de nouveaux navires, la tendance à la baisse du marché pourrait s’accentuer. Et Xeneta estime qu’il faudra mettre à l’ancre l’équivalent de 1,8 MEVP de capacité pour retrouver un équilibre.

Revoir la proportion entre contrats long terme et marché spot

Dans ce nouveau contexte, les chargeurs pourraient sortir gagnant. Une baisse des taux de fret serait heureuse, surtout qu’ils ont augmenté de 14% par rapport à l’année dernière en janvier. Certains pourraient être tentés de revoir la portion de volumes couverts par des contrats à long terme et ceux sur le marché spot. « Si les chargeurs s’engagent sur des contrats à un an et que le marché descend, ils pourraient payer leurs transports à des tarifs élevés et donc perdre de la compétitivité », souligne Xeneta. D’un autre côté, un retour par le canal de Suez est loin d’être assuré. Un argument qui permet aux compagnies d’annoncer des taux élevés. Cette année 2025 pleine de promesses risque aussi de devenir un jeu de Go où la tactique régnera en maître du jeu.