Corridors et logistique

Shipping Days (2/6) : les effets des changements climatiques sur les infrastructures portuaires

Nous continuons notre série sur les conférences des Shipping Days, qui se sont déroulés à La Rochelle les 16 et 17 avril. Ce deuxième épisode est consacré aux effets des changements climatiques sur les infrastructures portuaires.

Le changement climatique est devenu un paramètre important pour les ports. Les événements se multiplient avec une intensité plus forte : inondations, crues, cyclones et la montée des eaux mettent à mal les équipements portuaires.

Des crues à la sécheresse

Le changement climatique se manifeste sous différents aspects, rappelle Antidia Citores, directrice générale de Green Marine Europe. Il peut prendre les formes que nous avons évoqué mais aussi la sécheresse ou encore les substrats en fond de port avec le besoin de draguer. « Chaque situation demande une réponse distincte et une façon de l’anticiper différente. »

Une certification qui sert de feuille de route

Face à ces différences, Green Marine Europe propose de délivrer une certification environnementale. Elle sert de feuille de route pour chaque port. Dans ce contexte, « nous allons développer des indicateurs avec des bonnes pratiques à mettre en place pour faciliter l’adaptation. » À titre d’exemple, Antidia Citores cite la gestion des eaux pluviales. « Nous insérons en annexe de notre certification les bonnes pratiques, voire dans certains ports américains l’utilisation de l’intelligence artificielle pour gérer ce phénomène. »

Associer les différents acteurs de la chaîne logistique

L’application de ces adaptations avance à des degrés divers selon les ports. Ainsi, au GPM de La Rochelle, le dossier des conséquences du changement climatique est ouvert depuis 2021. « Nous avons pris conscience des effets de ces changements avec la tempête Xinthia, en février 2010. Pour les aborder, il faut de la méthode », indique Nicolas Menard, directeur des infrastructures au GPM de La Rochelle. La réflexion porte sur le périmètre de travail. Il peut aller au-delà de la circonscription portuaire.

Associer les acteurs de la chaîne logistique

Elle concerne aussi les installations. « Certaines appartiennent au port quand d’autres sont la propriété de sociétés privées. » Dans ce contexte, il convient d’associer les différents acteurs de la chaîne logistique. Le travail entrepris depuis 2021 a abouti à la publication en mars 2025 d’une feuille de route pour les cinq prochaines années. Un document qui prend en compte le texte publié par le gouvernement. Le Tracc (Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique) est intégré à la feuille de route du port.

Prioriser les actions

Le GPM de La Rochelle se situe aujourd’hui à la croisée des chemins. Chaque action est identifiée. Désormais, il appartient au GPM de prioriser ces actions. « Nous avons une feuille de route qui prévoit dans un premier point à notre organisation interne. Cela a été fait par le prisme de l’anticipation à ces changements mais aussi face aux aléas. » Une autre composante est d’intégrer les différents partenaires comme les collectivités locales et les opérateurs logistiques privés. Parmi les priorités, le port regarde, en premier lieu, les installations sensibles. « Au cours des derniers mois, l’installation électrique de notre pont tournant a été par deux fois sous l’eau. Il s’agit d’un exemple que nous regardons avec attention », cite Nicolas Menard en exemple.

S’adapter à la montée des eaux

Le port d’Anvers-Bruges regroupe le site d’Anvers dans un estuaire et celui de Zeebrugge directement sur la mer du Nord. À Anvers, le principal défi se retrouve dans la gestion entre l’eau douce et l’eau salée. La première alimente les terminaux par les canaux et les rivières. Elle est mêlée à l’eau salée qui est sur l’Escaut. L’autre grand défi consiste à s’adapter à la montée des eaux. « Face à ce risque, le port a construit des digues qui sont parfois surélevées et des murs. Nous menons une surveillance rapprochée de ces constructions », indique Dominique Mathern, représentant du port d’Anvers-Bruges. Sur le site de Zeebrugge, le principal risque vient des vents. Lors de ces épisodes, le travail peut être interrompu.

La nécessité d’une gouvernance internationale

Pour remettre « l’église au centre du village », Jean-Rémy Villageois a rappelé que ce sujet mérite une gouvernance internationale. « Et je me réjouis que la France ai pris la mesure de ce dossier. Le gouvernement a publié le Pnacc (Plan national d’adaptation au changement climatique) qui concerne tous les gestionnaires d’infrastructures, comme les ports. » Le gouvernement a déterminé des échéances en 2030, 2050 et 2100. Il demande aux gestionnaires d’analyser les conséquences des aléas comme la hausse du niveau de la mer, des températures, les vents ou encore l’intensité de ces phénomènes.

La vulnérabilité d’un port

Dans le GPM de Nantes Saint-Nazaire, les études avancent. « Nous sommes un peu en retard face à Bordeaux ou La Rochelle mais, maintenant, nous avons un cadre de travail national. » Le port travaille sur les études de vulnérabilité, à savoir la capacité du port à résister à un événement. Ainsi, il faut mesurer le temps nécessaire pour un retour à des opérations normales de l’activité après un événement climatique. Et cette démarche va encore plus loin dans l’analyse. En effet, par exemple, le GPM de Nantes Saint-Nazaire demeure le premier port français pour le trafic de l’alimentation animale. Il dispose d’un stock stratégique de sept jours. Or, si la capacité nominale du port est de huit jours, le risque est majeur pour les éleveurs. « Nous devons donc construire une stratégie pour demeurer résilient et prévoir des alternatives pour perturber le moins possible l’activité économique. »

Collaborer dans des partenariats entre les ports

Cet exercice est collaboratif, précise Jean-Rémy Villageois. Chaque opérateur doit participer pour « grandir ensemble. » Et cette « démarche collaborative est essentielle et nécessaire », abonde Nicolas Menard. Cela peut se faire dans différents cénacles ou organisations. « Nous réfléchissons avec d’autres ports dans le cadre de l’Espo (European Sea Ports Organization) et de l’IAPH (International Association of Ports and Harbours) », indique Dominique Mathern.

La propagation du bruit est une conséquence du changement climatique

Outre les événements cités plus haut, le changement climatique a un impact sur le bruit. En effet, plus l’eau est chaude plus la répercussion du son est importante. Alors, les impacts sur les mammifères marins sont importants. « Un enjeu que le Pnacc ne prend pas en compte », regrette Antidia Citores. Et elle appelle à la collaboration. La mise en place d’une démarche sur ce sujet par un port peut entraîner les autres à intégrer cette dimension dans sa stratégie. « Nous pouvons aller au-delà de la législation. »

Caraïbes : les particularités d’une économie insulaire

Ces événements climatiques ont des conséquences compliquées dans les Caraïbes. Les îles disposent généralement d’un port qui alimente l’économie locale. Or, dès lors qu’un cyclone, une tempête ou un tremblement de terre touche une île, c’est toute l’économie qui se met en pause. « Face à cela, explique Jean-Rémy Villageois, nous cherchons souvent des solutions pour le court terme. » Elle se matérialise par la solidarité entre les îles avec la mise à disposition des ports pour acheminer l’aide internationale. « En le faisant tous les ans, l’aide devient systémique. »

Les ports doivent comprendre les évolutions du marché

Pour le précédent président du directoire du GPM de la Martinique, une autre réponse existe. Il s’agit d’adapter le marché en fonction de la contrainte climatique. « L’organisation des lignes maritimes dérive des contraintes règlementaires qui sont issues du changement climatique. Avec l’EU ETS, les réductions des gaz à effet de serre impactent les lignes. Les ports doivent comprendre ce mouvement. Ils doivent réconcilier un marché qui évolue avec des capacités propres pour construire un avenir durable. »

Construire un hub résilient

Par conséquent, les deux ports français caribéens, la Martinique et la Guadeloupe ont étudié ces évolutions. De son côté CMA CGM a décidé de mettre des navires plus grands. « Ils ont besoin de hub de transbordement. Nous avons dû choisir le bon endroit pour ce hub et qu’il soit résilient. » Et le choix a été de bâtir un hub bas carbone avec des boucles de courant comme les « smart grids » qui permettent de s’affranchir des réseaux. Ainsi, en cas d’événement climatique important touchant la production électrique, le port continuera d’être opérationnel. Alors, le port pourra continuer de traiter les navires avec ses réserves électriques.

Réfléchir à l’environnement en prenant en considération l’économie

« La voie de sortie est l’expérience des ports ultramarins qui sont en avance sur ce sujet. Il faut construire des plates-formes qui soient au bon endroit, suffisamment solides pour résister à ces évolutions. Il faut réfléchir à l’environnement en prenant en considération les aspects économiques du marché. » Si les intervenants se montrent optimistes pour l’avenir, « c’est le sens du danger qui va nous faire bouger », a nuancé Jean-Rémy Villageois.