Corridors et logistique

Marchés : entre la crise de la mer Rouge, le Nouvel An chinois et Evergrande, le monde des vracs est en pleine tourmente

Le monde des vracs secs vit une période mouvementée entre les différentes crises de mer Rouge et d’Evergrande et l’approche du Nouvel An chinois. Dans ce contexte, les chaînes logistiques se réorganisent avec des impacts sur les taux de fret.

Le mois de février 2024 reste comme celui de tous les défis. Le monde des vracs est secoué par de nombreuses crises. D’une part, les attaques des Houthis contre les navires transitant entre le canal de Suez et le détroit de Bab el Mandeb obligent les armements à se dérouter. D’autre part, la sécheresse au Panama et les restrictions de passage du canal perturbent les flux. De plus, la faillite, en Chine, du premier groupe de construction Evergrande, inquiète avec une baisse probable des approvisionnements en matière première. Et quand tous ces événements surviennent pendant le Nouvel An chinois, le mois de février s’annonce « sportif ».

Un déficit des stocks de diesel

« Dans ce contexte, les marchés européens cherchent à réduire l’impact de ces phénomènes », indique le courtier grec Intermodal. Ainsi, dans la réorganisation de la logistique des vracs pétroliers depuis l’est de Suez vers l’Europe, les opérateurs du vieux continent se réorganisent en cherchant d’autres sources d’approvisionnement, notamment pour le diesel. En effet, continue le courtier, « la vulnérabilité des approvisionnements de diesel est exacerbée par la réduction des importations et la diminution de la capacité de raffinage du continent en raison de ses efforts de décarbonation. » Alors, la dépendance de l’Europe au Moyen-Orient à hauteur de 30 % de ses besoins en diesel introduit un risque non négligeable. Ainsi, selon les données d’Insights Global le déficit de stock de diesel atteint 277 000 barils, soit une diminution de 11,23 % par rapport à la moyenne quinquennale au 1er février.

Un rééquilibrage avec les États-Unis

Par conséquent, il faut s’adapter. Et pour se faire, l’Europe regarde du côté américain pour s’approvisionner. Effectivement, l’amélioration des marges aux États-Unis permet une augmentation importante des flux de diesel vers l’Europe. Ils ont progressé de 10,4% en un mois. Alors, les exportations américaines robustes, en particulier de produits raffinés vers l’Europe, représentent une stratégie d’adaptation aux chaînes d’approvisionnement perturbées. Elles assurent la continuité de l’approvisionnement malgré les tensions de la mer Rouge. Néanmoins, la maintenance planifiée à venir dans plusieurs raffineries américaines, notamment dans le Midwest et en Californie, augure des difficultés. En effet, ces exportations pourraient se suspendre pour que les produits raffinés aux États-Unis soient prioritairement consommés sur le marché local. « Par conséquent, on craint de plus en plus que les marchés européens, déjà confrontés à des contraintes logistiques et à des calendriers de maintenance, ne soient confrontés à des marges d’approvisionnement encore plus étroites », continue Intermodal.

Une hausse de 140% des taux de fret

Quant aux sources d’approvisionnement situées à l’est du canal de Suez, elles demeurent sous l’effet des attaques des Houthis. Le déroutement par le cap de Bonne-Espérance retarde l’arrivée des produits mais, il augmente sensiblement le coût. À titre d’exemple, Intermodal cite une expédition d’un navire de 65 000 t depuis le golfe Persique sur le Royaume-Uni. Le taux de fret progresse de 140% depuis le début du mois de décembre. Un taux qui a augmenté de 52,5% depuis le début du mois de janvier 2024. Et le pic est survenu le 29 janvier quand le TCE (Time Charter Equivalent) atteint 105 394 $/j pour ce type de navire. Une hausse estimée à 234% par rapport à la moyenne de 2023.

Consommer local pour des taux de fret moindres

Dans le même temps, les perturbations logistiques dues aux événement en mer Rouge entraînent une réorientation des échanges de pétrole vers des sources locales en raison des taux de fret plus élevés, ce qui a pour effet de réduire le trafic sur le canal de Suez et de favoriser les divisions commerciales entre le bassin atlantique et le golfe Persique. Cette réorientation vers des cargaisons plus accessibles, motivée par des préoccupations en matière de sécurité et de coûts, affecte les activités des raffineries et leurs marges bénéficiaires.

Le BDTI perd 4,4%

Dans ces conditions de marché, le BDTI (Baltic Dirty Tanker Index) s’établi, le 2 février à 1287 points, soit une baisse de 4,4%. Si le marché des VLCC demeure stable, avec une baisse de 0,8%, c’est principalement en raison d’une offre limitée. Les taux de fret entre le golfe Persique et la Chine progresse de 0,6%. Une hausse faible en raison de l’activité économique au ralenti liée au Nouvel An chinois. En Atlantique, les taux de fret entre l’Afrique de l’Ouest et la Chine progressent de 0,7%. Du côté des Suezmax, les taux s’affaissent de 4,3%. Il en est de même pour les Aframax avec une baisse avoisinant les 15%.

Le Nouvel An chinois impacte le moral

Quant au marché des vracs secs, l’approche du nouvel An chinois rend les opérateurs d’humeur morose. Selon Intermodal, l’ensemble du marché est concerné par ce sentiment négatif. Néanmoins, dans le secteur des Capesize, la dernière semaine de janvier a démarré avec une légère progression d’activité tant en Atlantique que dans le Pacifique. Cependant, les jours avançant les ports chinois commencent à fermer en raison du Nouvel An. Les expéditions de charbon depuis l’Australie et des autres importations de vracs se sont raréfiées.

Des taux de fret en ligne avec la baisse de la demande

Dans le bassin atlantique, la décroissance de la demande impacte les taux de fret. Ainsi, les Panamax affichent une baisse de 14,9% au cours de cette semaine. Les navires ont préféré partir à vide plutôt que d’attendre d’hypothétiques chargements. Or, la demande en chargement de céréales sur la côte orientale d’Amérique du Sud n’a pas suffi pour alimenter le marché.

La faillite d’Evergrande interroge

Et pour couronner le tout, l’annonce de la faillite d’Evergrande, principal groupe immobilier chinois inquiète. Selon les experts, l’effet de cette liquidation reste encore limité. Les maisons en cours de construction seront achevées, assure le gouvernement de Pékin. Il reste que cette défection pèse sur les approvisionnements de matières premières, selon le courtier Xclusiv.

Les exportations d’acier, planche de salut de la sidérurgie chinoise

En effet, le secteur immobilier consomme une part importante de l’acier, de l’aluminium et du cuivre de la Chine. En 2024, la demande d’acier de ce secteur est estimée à 268 Mt, soit 29,5 % de la consommation totale. De même, l’immobilier représente environ 30 % de la demande chinoise d’aluminium et plus de 20 % de la demande de cuivre. Ainsi, pour le monde des vracs secs, la baisse de la construction en Chine peut s’avérer inquiétante. Seule planche de salut pour l’industrie sidérurgique chinoise, le maintien de la demande d’acier des économies émergentes. Or, cette demande n’est pas assurée. Alors, selon Xclusiv, « les exportations devraient chuter autour de 82 Mt ». Un chiffre qui pourrait être plus élevé si la demande des acheteurs d’acier chinois augmente.

Le cuivre impliqué dans la crise d’Evergrande

Du côté de la demande d’aluminium et de cuivre, les difficultés économiques du marché immobilier peuvent impliquer une baisse en 2024. Déjà, l’intérêt des consommateurs pour des maisons achevées a diminué au cours des trois dernières années en Chine. Et cette tendance se poursuivra probablement jusqu’en 2024. Malgré cela, il est important de rappeler que la Chine est restée le principal contributeur à la demande mondiale de cuivre en 2023. En effet, ce produit entre dans la fabrication de matériel pour le secteur de l’énergie verte.