Conteneurs : l’hybridation des services maritimes
Face à la situation du commerce international, Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, propose de repenser les services maritimes conteneurisés. Il imagine une hybridation des lignes.
La fiabilité des lignes maritimes conteneurisées n’a eu de cesse de décroître au cours des dernières années. Il a fallu attendre les premiers mois de 2025 pour voir le taux de fiabilité remonter, selon Sea Intelligence. En avril, ce taux atteint 50%. Cela signifie que la moitié des services maritimes observés par le consultant accusent un retard.
Penser « en dehors de la boîte »
Dans ce contexte, Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply s’interroge. « Questionner des fondamentaux vieux de 30 ans est un choc. Pour les éternels optimistes dont je fais partie, c’est aussi l’opportunité d’essayer de penser « en dehors de la boîte » et d’échafauder ce que pourraient être les nouveaux modèles, à la lumière des dernières contraintes de marché. » Pour réaliser cet exercice, il commence par une cartographie du système existant.
Le recours à des 20’ s’amenuise
Dans un premier temps, il revient sur l’utilisation des porte-conteneurs de grande taille. « Le rapport remplissage/régularité est aujourd’hui médiocre. Rien ne devrait changer dans les cinq années à venir. » Ensuite, il estime que le recours à des boîtes de 20’ se marginalise au profit des 40’. « Cela a un impact sur la taille des navires », précise-t-il.
La pression du coût environnemental
Du côté portuaire, l’amélioration des opérations « passe par un meilleur étalement des activités sur les espaces fonciers disponibles. » De plus, la surcapacité alimente la concentration du marché. Ensuite, le coût environnemental sur le ratio tonne/mille nautique des marchandises est une pression exercée sur le marché qui ne disparaîtra pas.
Un cadencement des services indispensable
Du côté des chargeurs, les demandes diffèrent pour chacun. Le transport maritime est vu comme un stock flottant. Par ailleurs, le barycentre de production mondial s’élargit et intègre désormais toute la zone indo-pacifique. Le nearshoring tend à avancer « en général plutôt à petit pas ». Pour les donneurs d’ordre, le besoin « d’un réel cadencement des services nautiques pour construire des supply chains efficaces » devient indispensable. Alors, en ajoutant la guerre commerciale relancée en ce début d’année, « l’ensemble des parties prenantes du commerce international est au pied du mur, avec l’obligation de redessiner le vivre ensemble dans le village mondial. »
Repenser l’utilisation des navires au bénéfice de toutes les parties
Les fondamentaux actuels du transport maritime doivent amener à penser aux services de demain. Pour Jérôme de Ricqlès, « l’hybridation des services par typologie de navires nous semble une piste à explorer. » Cette nouvelle pensée permet de « sortir de la boîte ». Pour ce faire, il propose de repenser l’utilisation des navires « au bénéfice de toutes les parties prenantes sur la base des moyens existants. » Ainsi, l’analyse du carnet de commande des chantiers montre un intérêt des compagnies maritimes pour les unités entre 12 000 EVP et 16 000 EVP.
Le déroutement par le cap de Bonne-Espérance
En prenant en compte les perturbations nées de la crise en mer Rouge, il dessine une première ébauche de ces services. Ainsi, l’exploitation des très grands navires par la route du cap de Bonne-Espérance a permis de satisfaire une grande partie du marché. L’adaptation des chaînes logistiques à ce nouveau paradigme s’est concrétisée d’une façon finalement beaucoup moins chaotique qu’attendue.
Deux typologies de clients
Alors que la question du retour par le canal de Suez va se poser, il est donc légitime de se demander s’il ne serait pas judicieux de continuer à faire passer ces très grands navires par la longue route. Cela peut paraître contre-intuitif de prime abord, mais il faut garder à l’esprit qu’il y a bien deux typologies de clients très différenciées : d’un côté une demande très orientée sur le prix, peu sensible aux transit time, qui émane majoritairement des commissionnaires de transport. De l’autre côté, une demande plus faible en volumes, basée sur la vitesse et la régularité, qui est plus proche de l’ADN BCO (beneficial cargo owner, également appelé chargeur direct).
Des départs chargés à l’optimum de leur économie d’échelle
Dans ce schéma, les navires de type ULCS de 24 000 EVP afficheraient une rotation semi-régulière. Les départs ne se feront qu’avec un taux de remplissage « à l’optimum de leur économie d’échelle. » Ces départs, moins cadencés, permettent aussi d’éviter des zones à risques et donc des surcoûts d’assurance. Il cite alors l’exemple d’un navire avec une navigation entre 8 nœuds et 10 nœuds entre Shanghai et Rotterdam. Le temps de transport serait alors de 55 jours. « Pour certains gros importateurs, un délai de mer rallongé n’est pas un handicap. Au contraire, cela constitue en quelque sorte du stockage flottant dont ils n’ont pas à supporter le coût. »
Un service « premium » pour une meilleure qualité de service
Parallèlement à ces services, les armateurs offriraient des lignes hebdomadaires par le canal de Suez avec des unités de 15 000 EVP naviguant à 16 à 18 nœuds. Cela permet de relier le port de Shanghai à celui de Rotterdam en 30 jours. Il s’agirait d’un service « premium ». Certes, le taux de fret serait plus élevé mais avec une qualité de service.
Deux logiques commerciales
Deux types de services avec des logiques commerciales différentes mais qui apporteraient une transparence. « Certains commissionnaires se trouveraient de facto privés de la possibilité de pouvoir vendre au prix fort à leurs clients un service de moindre qualité acheté à bas prix. Ce système redonnerait donc un peu plus de poids aux compagnies maritimes face aux NVOCC sur la qualité effective commercialisée sur le marché. » Par ailleurs, cette nouvelle approche rééquilibre le différentiel de coût d’exploitation pour les lignes conteneurs empruntant la route du cap de Bonne-Espérance et celle qui passe par Suez.
Retrouver le juste prix du service
Jérôme de Ricqlès perçoit plusieurs avantages de cette différentiation. En premier lieu, la clarification des offres permet au client de payer le prix du service. Ensuite, cela permet la prise en compte de la hausse des coûts d’exploitation et donc remet une notion de juste prix. En troisième lieu, cette approche permet une gestion transparente et « intelligente » des capacités. Enfin, le chargeur peut décider pour chaque chargement d’utiliser l’un ou l’autre de ces services.
Rendez-vous dans dix ans
Cependant, cette hybridation des services peut présenter des inconvénients. Elle peut déboucher sur une « formatage du marché ». Une tendance qui peut poser des problèmes aux autorités de régulation. Du côté des commissionnaires, cette double approche peut ne pas être de leur goût. Or, ils représentent environ 50% des clients des compagnies maritimes. Ensuite, si cette solution peut satisfaire actuellement les différentes parties, il n’est pas certain qu’elle soit pérenne. « Dans 10 ans, en revanche, il est possible que les navires de 24 000 EVP soient beaucoup plus pertinents dans des marchés mieux équilibrés en termes de ratio offre/demande », indique l’expert maritime.