Corridors et logistique

L’Allemagne remet le fret sur les rails : une réforme décisive pour les ports et les corridors européens

La nouvelle stratégie ferroviaire allemande place le fret au cœur de la relance du rail. En misant sur la modernisation du réseau et la restructuration de la Deutsche Bahn, notamment DB Cargo, Berlin veut fluidifier les échanges entre ports et hinterland. Reste à convaincre les opérateurs privés que la concurrence sera enfin équitable.

Avec sa nouvelle stratégie ferroviaire, publiée en septembre 2025, le gouvernement allemand veut transformer la Deutsche Bahn, et notamment DB Cargo, en profondeur et faire du fret ferroviaire un levier de compétitivité logistique. L’enjeu dépasse les frontières : il concerne toute la chaîne d’approvisionnement européenne, des ports allemands et néerlandais jusqu’aux terminaux intérieurs français.

Un constat sévère

Cependant, le constat est sévère. En effet,  DB Cargo, la division fret de la Deutsche Bahn, accumule les pertes et les retards. Les infrastructures vieillissent, la ponctualité s’effondre, et les entreprises dénoncent un réseau saturé. Pour redresser la barre, le ministère fédéral des Transports promet 100 Md€ d’investissements d’ici 2029 et une réforme de gouvernance en profondeur. L’objectif vise à rendre la DB plus efficace. Le changement de gouvernance prévoit de séparer clairement les activités commerciales de l’infrastructure (via DB InfraGO), et instaurer un accès équitable au réseau pour tous les opérateurs.

La concurrence au cœur de ce cette réorganisation

Car au-delà de la réorganisation interne, la question clé est celle de la concurrence. Les compagnies privées de fret, regroupées au sein du Netzwerk Europäischer Eisenbahnen (NEE), saluent la volonté politique mais restent prudentes. Elles craignent que la réforme, en consolidant la position de la DB, ne perpétue un déséquilibre historique. Le NEE appelle à une véritable neutralité du réseau, condition indispensable pour attirer plus de trafic sur la voie ferrée. Aujourd’hui, ces opérateurs indépendants assurent déjà près de 50 % du fret ferroviaire allemand. Ils peinent encore à rivaliser avec la puissance du groupe public.

Les opérateurs privés tirent le signal d’alarme

De son côté, l’association des opérateurs logistiques de fret ferroviaire, réunis dans Die Gueterbahnen, s’alarment du peu d’intérêt du gouvernement pour le fret. Dès la publication de la stratégie, l’organisation a rappelé sa position : « Cette stratégie se concentre sur le trafic de passagers. Le transport de marchandises n’a pratiquement aucune importance. Il s’agit d’un signal qui démontre que le gouvernement se concentre sur des sujets populaires sans se concentrer sur tout le trafic ferroviaire. »

Fluidifier les flux vers la France et la Méditerranée

Pour le secteur logistique, notamment portuaire, les enjeux sont immenses. Les trafics conteneurs des ports de Hambourg, Bremerhaven et Wilhelmshaven dépendent étroitement du rail. Et cette dépendance se décline jusqu’à la liaison avec le marché français et du Benelux. Une amélioration de la fiabilité et de la capacité du réseau allemand pourrait fluidifier les corridors Rhin-Alpes et Scandinavie-Méditerranée. À l’inverse, une réforme inachevée ou centrée sur la seule Deutsche Bahn risquerait d’accentuer les goulets d’étranglement dont se plaignent déjà les opérateurs logistiques.

Remettre le rail dans la concurrence face à la route

Les acteurs privés plaident pour une approche plus pragmatique : modernisation des terminaux, digitalisation du fret, réduction des travaux bloquants, et interopérabilité accrue avec les réseaux voisins. Ils voient dans cette réforme une occasion historique de faire du rail un outil compétitif face à la route, à condition que l’État allemand tienne ses promesses.

Un test grandeur nature pour la France

Pour la France, qui cherche elle aussi à rééquilibrer ses flux vers le rail, la stratégie allemande sera un test grandeur nature. Si Berlin parvient à redonner confiance au marché et à créer un accès ouvert et performant au réseau, les effets se feront sentir jusqu’aux ports du Havre, de Dunkerque et de Strasbourg. Mais si la réforme échoue, c’est l’ensemble de la logistique européenne qui restera à quai.