Tensions géopolitiques du golfe Persique : le scenario du pire se dessine
Après l’attaque de quatre navires au large de Fujairah, aux Émirats Arabes Unis, et le bombardement par des drones du pipe-line en Arabie Saoudite, la situation géopolitique du Moyen-Orient se tend, au détriment de l’économie.
Tout a commencé le 13 mai quand quatre navires, dont deux saoudiens, un sous pavillon norvégien et un sous pavillon émirati, ont été attaqués au large de Fujairah, aux Émirats Arabes Unis. Le 14 mai, c’est au tour du principal pipe-line Sumed, en Arabie Saoudite, qui relie la Mer Rouge avec les champs de l’est du pays, d’avoir été touché par un drone. Selon les informations collectées dans la presse, ce drone aurait été piloté par des intérêts yéménites proches des Houthis. Ces derniers se réclament de la mouvance zaïdiste proche des chiites. Le gouvernement de Sanaa reconnu par l’ONU, dirigé par Hadi, ne veut pas d’une paix avec l’Arabie Saoudite.
Existe-t-il un lien entre les attaques des navires au large des Émirats Arabes Unis et les rebelles yéménites ? À ce jour aucune preuve n’apporte une quelconque participation de l’Iran ou de ses alliés du Yémen. Le ministre saoudien de l’Énergie, Khalid Al-Falih, a malgré tout déclaré le 13 mai après les attaques des navires qu’elles « prouvent encore qu’il est important de faire front au terrorisme, y compris les milices Houthis au Yémen qui sont soutenues par l’Iran ». Ainsi, sans le citer, le ministre saoudien condamne indirectement l’Iran de jeter du feu sur le conflit yéménite, à la frontière avec l’Arabie Saoudite. Quant au pipe-line qui relie les champs pétroliers de l’est de l’Arabie vers le port de Yanbu, sur la mer Rouge, il intervient comme une alternative en cas de blocage du détroit d’Ormuz.
Selon les derniers chiffres du port de Yanbu, sur les quatre premiers mois de l’année, ce sont quelque 750 000 barils par jour qui quittent le port, selon Bloomberg. Le pipe-line reliant l’est du pays à Yanbu sert principalement, pour la société nationale, a acheminé du brut pour le raffiné dans le port. Le port sert principalement à l’exportation de produits pétroliers. En 2017, sur les 83 Mt réalisées par le port, les deux tiers comprenaient des exportations de produits pétroliers.
Pour le transport maritime, cette situation est d’autant plus sérieuse qu’elle impacte tout un pan de l’économie. Déjà, le regain de tensions dans le golfe Persique va inciter les assureurs à revoir leurs primes risques de guerre et notamment pour les pétroliers, qui semblent les cibles des attaques. Si une intervention américaine devait intervenir, la menace sur une fermeture probable du détroit d’Ormuz serait à craindre avec des conséquences dures pour les pays du Golfe et surtout pour l’approvisionnement pétroliers.
Cette tension géopolitique du Moyen-Orient pèse sur les prix pétroliers. Ils ont repris quelques dollars dès le lendemain de l’attaque. Les analystes cités dans la presse s’inquiètent de cette hausse parce que les solutions de repli ne sont pas nombreuses. La menace d’une intervention américaine dans le golfe Persique pourrait mener au blocage du détroit d’Ormuz et donc priver le monde d’une partie du pétrole. Quelles sont les alternatives ? Le Vénézuela est aujourd’hui sous embargo et ne pourra répondre à la demande. Quant à l’Iran, si le pays dispose d’une sortie sur l’océan Indien, il est aussi sous le coup d’un embargo américain. En Afrique, la Libye a du mal à assurer une production stable et conséquente et les pays d’Afrique de l’ouest peuvent assurer l’approvisionnement mais uniquement partiellement. Pour Emmanuel Dupuy, directeur de l’IPSE (Institut Prospective et Sécurité de l’Europe), l’Afrique de l’ouest dispose de réserves importantes. « Le Nigéria, le Cameroun et les autres pays de la région disposent de réserves importantes. Quant aux risques de piraterie du golfe de Guinée, ils sont en nettes régression ces dernières années avec les opérations militaires menées localement en coopération avec la France ». Il reste alors la Russie et les États-Unis qui tireront leur épingle de ce jeu. Quant à la Chine, si elle reste en retrait de ces tensions, pour le moment, elle s’est prémunie de ce risque. Les Nouvelles Routes de la Soie ont prévu un débouché vers l’Iran. Le port de Chabahar, précise Emmanuel Dupuy, constitue une zone franche pour exporter des produits iraniens. « L’autre alternative chinoise pour s’approvisionner en pétrole peut venir avec le corridors Chine Pakistan et le débouché maritime sur le port de Gwadar. Il offre à la Chine une possibilité d’être relier directement sur l’Océan indien », continue le directeur de l’IPSE. L’Empire du milieu pourrait s’alimenter en pétrole depuis l’Iran, même s’il doit violer l’embargo américain. Les liaisons terrestres de ces Routes de la Soie lui assurent aussi des liaisons vers la mer Caspienne et Bakou, autre centre pétrolier, voire avec le corridor lapis-lazuli qui relie la Chine à la Géorgie via le Turkménistan et le Tadjikistan et jusqu’à la Turquie.
Emmanuel Dupuy, expert sur les conditions de sécurité, estime que la tension dans le golfe Persique devrait s’étioler. Ni l’Iran, ni l’Arabie Saoudite et encore moins les puissances occidentales n’ont intérêt à voir la situation dégénérée. Voir une tension trop forte dans son arrière-cour est une situation qui se déplorable pour l’Iran, même si le pays dispose d’autres portes de sortie. « D’autant plus que les iraniens ont exercé une pression sur les milices houthis pour s’inscrire dans le processus de Stockolm et de permettre l’accès au port d’Hodeïda pour l’aide humanitaire ».
Dans le journal La Tribune, Gérard Vespierre, analyste des « arcs de crise », diplômé de l’ISC Paris, maîtrise de gestion, DEA de finances, Paris Dauphine, plaide pour le soutien à l’Arabie Saoudite. « Si nous voulons voir la paix revenir dans l’ensemble du Moyen-Orient, il nous faut prendre toutes les décisions nécessaires pour « contenir » l’Iran et son régime. Il nous faut en conséquence décider de continuer à fournir à l’Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, les équipements militaires qu’ils nous ont commandés et que nous avons accepté de leur livrer. L’analyse géopolitique n’est pas une absence de compassion, elle est l’expression d’un choix et d’une cohérence sur le long terme. » À lire ces lignes, il aurait fallu charger le Bahri Yanbu de ses armes (voir notre article).