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Jean-Frédéric Laurent, président du directoire du Grand port maritime de Bordeaux: « Le port doit devenir un vecteur de valeur ajoutée pour le territoire »

Après avoir été chez Barry Rogliano et Salles, Jean-Frédéric Laurent a rejoint le Grand port maritime de Dunkerque avant de partir pour celui de La Réunion avant de revenir en Métropole à la direction du Grand port maritime de Bordeaux en mars. Il arrive dans le port girondin dans un contexte conjoncturel et structurel difficile. Nous reprenons ci-dessous l’entretien réalisé par Caroline Britz de Mer et Marine, qui détaille les grandes orientations du nouveau président du directoire du GPM Bordeaux.  

Jean-Frédéric Laurent a pris ses fonctions de directeur du Grand Port Maritime de Bordeaux en mars dernier. Au lendemain de la signature d’une convention entre le GPM et les collectivités locales, et alors que le tonnage continue à faire grise mine, il pose les premières pistes d’un plan de reconquête du trafic. Qui passe notamment par celle de la rencontre entre le port et son hinterland.

MER ET MARINE : Le port de Bordeaux enregistre une baisse continue de trafic depuis une dizaine d’années. Alors que vous venez de prendre la direction du port, quels sont vos projets pour enrayer cette tendance ?

Jean-Frédéric Laurent : Effectivement la situation n’est pas bonne. Nous faisions 9 millions de Mt par an il y a 10 ans, en 2018 nous étions à 7 Mt. Et le début de l’année 2019 ne montre pas d’amélioration, voire même une dégradation liée notamment à la fin du service de MSC. Ce constat négatif concerne la plupart des filières (vracs solides, notamment les céréales, produits pétroliers, conteneurs).

Il faut tirer des enseignements de cette période pour réorienter les flux vers le port. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de diagnostic. Il est encore trop tôt pour donner des pistes concrètes mais nous nous lançons dans une phase de reconstruction. Et cela passe d’abord par la reconnexion de la place portuaire avec son territoire : la ville de Bordeaux et son agglomération, le département de la Gironde et la région Nouvelle Aquitaine. Parallèlement, il nous faut aussi aller à la rencontre du tissu industriel et commercial local, pour leur faire connaître le port et ses possibilités.

Vous signez cette semaine une convention de partenariat et de projet avec les collectivités locales. Avez-vous le sentiment que les élus bordelais et plus largement des territoires environnants souhaitent valoriser la place portuaire ?

La prise de conscience de l’importance du port par les élus locaux est effectivement de plus en plus marquée. Le port de Bordeaux représente près de 8000 emplois directs et bien davantage indirects. Une partie sensible des activités économiques de notre territoire dépend du port et c’est désormais quelque chose qui est su et reconnu par les élus et les collectivités. Cette prise de conscience collective se traduit concrètement par cette convention que nous signons cette semaine. Ce document, qui sera valable deux ans, va permettre au port, à Bordeaux et aux territoires, avec la collaboration de la Chambre de commerce et d’industrie et l’Union Maritime et Portuaire, de mettre en place une orientation stratégique partagée. Nous allons également mettre en place des groupes de travail spécialisés qui vont travailler sur les aspects logistiques, commerciaux, environnementaux.

Il faut redonner confiance dans le port de Bordeaux et redémarrer un projet stratégique. Le port doit devenir un vecteur de valeur ajoutée pour le territoire. Nous devons accompagner les collectivités qui décident de s’inscrire dans l’économie maritime. C’est le bon moment : l’ambiance sociale est apaisée grâce aux efforts de médiation de l’ensemble des partenaires. Le dialogue est rétabli et tout le monde est prêt à travailler ensemble.

Vous évoquez le tissu industriel et commercial de votre hinterland immédiat comme une cible de votre action de reconquête de trafics. Comment comptez-vous les attirer vers le port ?

Il faut d’abord que nous allions à leur rencontre et que nous communiquions davantage sur nos potentiels et nos actions. Il faut effectivement aller reconquérir les clients de notre hinterland en mettant en avant notre proximité, le fait d’avoir des terminaux multiples et polyvalents répartis le long du fleuve. Notre foncier disponible et aménageable est notre atout : ils sont non seulement une interface vers la mer mais également des lieux qui ont suffisamment de place pour accueillir des industriels et des logisticiens. Et il y a ensuite le service aux navires et aux entreprises : nous devons continuer à les améliorer pour correspondre aux besoins de nos clients. Cela va de la manutention, qui doit nécessairement s’adapter aux contraintes particulières des horaires de marée dans notre fleuve, à l’articulation de la logistique avec les besoins industriels en proposant par exemple des services de stockage à quai, au branchement des navires à quai ou à la poursuite du développement de nos capacités multimodales, qui sont grandes grâce au fleuve et au réseau ferroviaire.

Aujourd’hui, notre objectif ce n’est pas forcément de faire des millions de tonnes mais plutôt de s’inscrire dans une chaîne logistique. Il y a un décalage entre le potentiel de Bordeaux, qui est un des rares territoires à avoir un équilibre import-export quasi parfait, et le trafic de notre port.

Le terminal de Bassens est au cœur de l’activité du port de Bordeaux. Quels sont ses perspectives ?

Bassens est notre couteau suisse, capable de traiter tous les types de trafic mais aussi de micro-trafics, qui représentent environ une dizaine de milliers de tonnes par an et qu’il est important d’accueillir dans de bonnes conditions. C’est par lui que nous allons relancer notre activité. Notre idée est donc de maintenir la polyvalence de Bassens avec des remises à niveaux, de la réorganisation et de la modernisation des outillages.

Pauillac accueille actuellement le trafic des pièces d’Airbus A380 qui devrait se terminer d’ici 2020. Parallèlement, on y évoque un projet de terminal croisière. Où en est-on ?

Nous sommes en effet lancés dans un projet d’implantation d’un terminal croisière à Pauillac, qui a l’avantage d’un accès nautique facile et de manœuvres aisés, mais également de se trouver au cœur du Médoc et d’offrir, à ce titre, une escale prisée par les croisiéristes. Nous avons une forte demande d’escales de croisière à Bordeaux, mais le port de la Lune qui se situe en centre-ville a une capacité d’accueil limité à 240 mètres et, avec 50 à 60 escales par an, est déjà au maximum de ses possibilités. Pauillac se présente donc comme une destination complémentaire qui permettra d’accueillir des plus gros navires. Nous sommes actuellement en phase de réflexions sur l’infrastructure technique d’accostage mais aussi, en collaboration avec les collectivités locales, sur les modalités d’accueil à terre.

Le Verdon est actuellement à l’arrêt. Quelles sont les possibilités de développement pour ce terminal ?

Le site est effectivement complètement arrêté aujourd’hui. Mais plutôt que de s’en affliger, il est temps d’en voir les avantages : un site entièrement équipé et desservi, avec un accès nautique rapide, capable d’accueillir tous types d’activités. Nous sommes donc dans une vraie réflexion sur comment y démarrer une activité économique, pas forcément lié au conteneur, en s’appuyant sur un foncier disponible. On a la chance d’avoir ce site, disponible et proche du territoire, et je suis persuadé qu’il va trouver une pertinence industrielle et logistique dans les temps à venir.

On évoque souvent la concurrence entre les ports de l’Atlantique, notamment Bordeaux et La Rochelle. Est-ce quelque chose de prégnant à vos yeux ?

Nous avons des problématiques très différentes : Bordeaux est une grande métropole mais un port d’estuaire, La Rochelle est un port de haute mer avec un hinterland plus réduit. Même si nous sommes en concurrence sur quelques trafics, nous devons avant tout travailler ensemble. C’est la volonté de la région Nouvelle Aquitaine. Les ports de l’ensemble de notre région ne voient passer, en tout, que 23 millions de tonnes. Ce chiffre est en complet décalage avec le fait que nous soyons la plus grande région de France. Il faut donc que nous, places portuaires locales, allions reconquérir des activités et nous devons le faire ensemble.

Propos recueillis par Caroline Britz, Mer et Marine