Juridique et social

L’assurance maritime face au Brexit : une place à prendre pour le marché français

Le rendez-vous de l’assurance maritime à Paris, devenu depuis l’an dernier ParisMat (maritime, assurance transport), a réuni assureurs, courtiers et experts autour des interrogations de ce qu’il va advenir du monde des assurances après le Brexit.

Prévu le 29 mars et repoussé au 31 octobre, le Brexit ne sera pas sans effets pour le monde des assurances. Ce nouveau report met dans l’émoi toute la profession de l’assurance. « Personne ne sait à quoi ressemblera l’Union européenne sans le Royaume-Uni », a commencé par déclarer Régis Bourdin, directeur des sinistres d’Allianz Global. Et imaginer le monde de l’assurance maritime et transport en Europe après le départ du Royaume-Uni, premier marché mondial de l’assurance, une fois la Grande Bretagne partie de l’UE, reste un exercice difficile. Pour Gérard Gardella, secrétaire général du Haut comité juridique de la place financière de Paris, le Brexit se fera en deux temps, « comme un divorce ». La première phase, la rupture, se réalisera soit avec un accord soit sans accord. C’est la différence entre le « Hard Brexit » et le « Soft Brexit ». L’accord négocié entre le Premier ministre britannique et l’UE laisse deux ans aux britanniques pour discuter des conditions de départ avec, pendant cette période, le maintien dans l’UE. À défaut d’un accord accepté par l’UE et le Parlement britannique, le Brexit se fera sans période de transition et la Grande-Bretagne sera pour les autres pays européen un pays tiers au même titre que la Chine, la Malaisie ou le Maroc. La seconde phase du divorce, explique Gérard Gardella, devra se dérouler sur les conditions des relations futures entre l’UE et la Grande-Bretagne. Plusieurs options se présentent. Soit, un accord est trouvé pour prolonger les relations entre l’UE et le Royaume-Uni dans des conditions équivalentes à celles qui existent avec les pays de l’AELE. La Grande-Bretagne devra appliquer le droit européen et se soumettre aux décisions de la CJCE. « Cette solution ne semble pas faire sens pour les britanniques », a précisé Gérard Gardella. L’autre alternative sera de disposer d’accords négociés avec Londres sur des secteurs limités. Enfin, dernière option, la Grande-Bretagne pourra demander des équivalences et être traitée comme auparavant sur des filières déterminées. « L’UE est libre de retirer à tout moment ces accords d’équivalence ».

De gauche à droite: Bernard Mettetal, avocat associé HMN & Partners, Frédéric Jousse, directeur international du cabinet Bessé, Gérard Gardella, secrétaire général du Haut comité juridique de la place financière de Paris et Alexis Garatti, Euler Hermes. © Hervé Deiss

Bernard Mettetal, avocat, l’ordonnance du 6 février 2019, prise par le gouvernement français, prévoit les conditions d’une absence d’accord. « Nous avons été surpris par la décision du Parlement britannique de refuser l’accord. Il faut désormais se projeter dans une phase d’un Brexit sans accord avec une nouvelle donne pour la liberté de prestation de service », a commencé par expliquer l’avocat. Cette liberté, assure l’avocat, disparaîtra d’elle-même le lendemain du Brexit si aucun accord n’est trouvé. L’ordonnance du 6 février prévoit notamment qu’après le 31 octobre, aucune prime ne pourra être perçue ni aucun sinistre réglé. Quant aux contrats en cours, ils ne devront pas subir de « modifications substantielles » sous peine de devoir être renégocié et entrer dans le droit européen ou le droit britannique.

Pour les britanniques, les choses ne changeront guère. Les Lloyd’s de Londres ont créé une filiale à Bruxelles pour contourner le risque d’un Brexit sans accord. Et les sociétés étrangères joueront aussi le rôle de structure européenne pour leur permettre de garder pied dans le marché unique. « Il appartiendra à chaque État d’adapter son approche face à ces sociétés étrangères », a continué l’avocat. Quant à la réassurance, les choses sont plus simples. Le point à surveiller pour ces sociétés est avant tout de disposer de réserves. En France, les réassureurs doivent constituer des réserves financières. Dans l’hypothèse où un accord serait trouvé avec la Grande-Bretagne, il pourrait y avoir des équivalences. À défaut, ce sera l’application du droit national qui prévaudra.

Ensuite, la difficulté naîtra des décisions de justice prises par les cours britanniques. Aujourd’hui, elles s’appliquent de plein droit dans l’ensemble de l’Union européenne. Après le Brexit, ces décisions pourraient être contestées sur le territoire européen. Les anglais ont une notion extensive de la compétence des cours. Pour faire face à un risque d’insécurité et ainsi s’assurer de l’exécution en Europe de ces décisions, la France et les Pays-Bas ont créé des cours spécialisées ur les clauses d’attribution.

Pour Frédéric Jousse, directeur international au cabinet Bessé, l’application des conditions du Brexit au marché de l’assurance transport ne se fera pas sans impacts. « Les Lloyd’s ont su créer une communauté autour des différents intervenants qui soit solide, stable et qui défende sa place ». Il a donné l’esprit de ses contacts anglais. « Ils assurent que nothing will change. Vous continuerez à discuter avec Londres et vous payerez à Bruxelles. » Deux choses sont importantes dans le cadre d’un Brexit dur. La première concerne la position des autorités européennes face au siège des Lloyd’s à Bruxelles. « Elles ne vont pas se laisser faire », assurent Frédéric Jousse. La seconde vise les sociétés étrangères. Leur siège actuellement à Londres va bouger. « Le centre de gravité de ces sociétés va se déplacer sur le territoire européen. Elles s’apercevront rapidement que le potentiel est plus important en Europe. Avec le Brexit, les britanniques ont ouvert une boîte de Pandore ». Pour le directeur international du groupe Bessé, le déplacement de ces centres de gravité vers le territoire européen est une opportunité pour le marché français. « Les sociétés étrangères qui vont déménager leur siège européen choisiront un hub commercial qui réunit les mêmes conditions que celles mises en place par le marché de Londres. Il ne s’agit pas de remplacer le marché britannique mais plutôt d’offrir un système fiable, solide et soudé ». Et pour le responsable international, la place parisienne dispose de ces atouts. « Nous disposons de courtiers, d’avocats, de compagnies, un réseau d’experts et des services sinistres qui apportent une dimension commerciale, ce que ne fait pas la place de Londres », a expliqué Frédéric Jousse. Pour Bernard Mettetal, il faut néanmoins ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. « Les Lloyd’s de Londres ont une capacité à s’adapter rapidement même s’ils n’arrivent pas encore à comprendre que la demande n’est plus dans leur sens. »