On va pas se marrer tous les jours
Récemment, je devisais avec un économiste. Comme à chaque fois, en cette période de fin d’année, nous avons dressé le bilan et imaginer ce que pourrait être l’année qui commence. La conclusion s’est imposée : « En 2019, on va pas se marre tous les jours ». C’est un peu pessimiste me diriez-vous mais nous devons prendre en compte des éléments importants qui viendront ternir chaque jour un peu cette année. Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête mais, en tant que gaulois nous devons prendre garde.
Commençons chronologiquement par voir ce qui va nous arriver. Nous attendons tous impatiemment la nomination du préfigurateur pour Haropa. Cette personne disposera de deux ans pour décider de ce qu’il adviendra du GIE formé par les trois ports de la Seine. Un leurre. Il s’agit surtout de prendre en considération les différentes composantes pour trouver la façon de fusionner les trois ports séquaniens que sont Le Havre, Rouen et Paris pour en faire un seul établissement. Si nous regardons les dernières tendances et reprenons un tweet de Michel Segain, président de l’Umep au Havre, pourquoi attendre deux ans pour arriver au résultat que le premier ministre a clairement évoqué dans son discours en sortant du Cimer du mois de novembre ? Le but est connu, ce sont les moyens qui vont poser problème. En discutant avec des représentants de la FNPD CGT, syndicat majoritaire dans les ports, il nous a rappelé que « 1+1+1 ne fait jamais trois dans le système capitaliste ». Une règle mathématique qui ne se conteste pas et d’ailleurs avant même la création d’Haropa, Antoine Rufenacht, lors d’une réunion de l’Association de développement des ports français l’avouait clairement : « il faut que le processus engagé sur la Seine finisse par une fusion des trois ports, mais n’allez pas dire cela aux syndicats ce serait leur agiter un chiffon rouge ». Quelques années plus tard, voilà la fin du processus qui s’engage. Deux ans suffiront-ils à faire avaler la pilule aux syndicats ? Il est à peu près certain que cette opération aura un effet sur le personnel dans les trois ports concernés. Quelles seront les contreparties que le préfigurateur devra accepter ? Déjà certains avancent une volonté des syndicats de voir la CCNU (convention collective nationale unifiée qui concerne les personnels des ports maritimes) s’appliquer dans tous les établissements fluviaux. S’il accepte cette contrepartie c’est toute une économie fluviale qui pourrait se voir handicaper par des coûts supplémentaires. Et par voie de conséquence perdre des trafics au profit des autres modes de transport terrestre. C’est donc au travers des décisions qui se prendront un premier indice sur la politique des transports du gouvernement : le fluvial aura-t-il un avenir en France ? Déjà que les gouvernements successifs emploient toute leur énergie à noyer le serpent de mer Seine-Nord, l’application de la CCNU dans les ports fluviaux pourrait sonner le glas du développement de ce mode avec des taux trop élevés.
Brexit: désengorger les ports et non augmenter les services
Si nous poussons un peu plus loin dans l’année, nous allons vivre un grand moment pour l’Europe avec le Brexit le 29 mars. Brexit dur ou Brexit mou, il faudra assurer les flux entre la Grande-Bretagne et le continent. L’hypothèse d’un Brexit sans accord, à savoir une sortie de la Grande-Bretagne sans que ne soit adopté l’accord négocié par Theresa May par le Parlement britannique et les ports de la Manche risquent d’être congestionnés. Nous nous trouverons alors bien malin d’aller donner des leçons à des ports de l’hémisphère sud sur le désengorgement des ports et des corridors quand entre Roscoff et Rotterdam, des files de camion patienteront pour prendre un ferry. Déjà, le gouvernement de Theresa May a débloqué des fonds pour permettre aux opérateurs d’augmenter les cadences entre les ports anglais et le continent. Brittany Ferries se voit attribuer une enveloppe de plusieurs millions d’euros pour se préparer à cette éventualité. La situation paraît ubuesque. Que penseriez-vous d’un médecin à qui vous expliquez que vous avez une angine s’il vous prescrit des séances de kinésithérapeute pour soulager des douleurs articulaires ? Aligner plus de navires n’est pas une solution quand d’un côté et de l’autre de la Manche, des camions devront satisfaire à des obligations de douanes. Les attentes dans les ports se résoudront par l’embauche de douaniers, mais depuis 1992, il semble que l’hypothèse d’une sortie d’un pays de l’UE n’a jamais été prise en compte. Si le cœur vous dit d’aller en Angleterre dans les prochaines semaines, n’attendez pas le Brexit vous risquez de devoir patienter longuement.
L’Europe sera confronté à la première crise de ce genre qui pourrait bien en appeler d’autres dans les années à venir si nous écoutons attentivement les revendications de certains partis politiques nationalistes. Le Brexit pourrait être les premières gouttes d’une hémorragie plus sévère. Et l’Europe devra, dès le mois suivant, à savoir, en avril, remettre sur le tapis des négociations sur l’exemption de bloc des consortia maritimes. Cette exemption prend fin en 2020 et dès le mois d’avril 2019 la Commission devra commencer à étudier la prolongation de cette disposition. Bien entendu, les armateurs souhaitent que soit prolongée cette exemption. Du côté des opérateurs portuaires, les premières paroles contre ce texte émergent. Lors de l’assemblée générale de la Feport (Fédération européenne des opérateurs privés des ports), il est apparu que plusieurs organisations comme la Feport mais aussi le Clecat, regroupant les transitaires, ou encore les chargeurs demandent que cette exemption ne soit pas prolongée. Elle n’a pas porté les fruits escomptés, selon les détracteurs.
L’automatisation portuaire inquiète l’IDC
Des discussions qui ne porteront pas forcément préjudice à l’activité et restera cantonnée dans les salons en 2019. Il est un atre élément qui doit être pris en compte. Dans un document diffusé fin décembre par l’organisation syndicale internationale des dockers, IDC( International Dockworker Council, dont la FNPD CGT est membre), l’automatisation dans les ports doit être contrôlée. Ce point ne concerne pas uniquement la France, voire pas du tout puisque l’automatisation des terminaux français est minime. Néanmoins, l’organisation syndicale internationale soutien qu’ « elle est favorable aux avancées technologiques qui aide au développement du travail dans les ports. Cependant, continue le texte, il faut clarifier les choses. Selon certaines études indépendantes, la robotisation dans les terminaux portuaires n’est pas forcément synonyme de rentabilité et de meilleur fonctionnement et implique surtout des pertes d’emplois ». Alors, l’IDC demande que les opérateurs privés, les autorités portuaires et les administrations publiques prennent le temps de lire ces études pour préserver « les milliers d’emplois dans le monde portuaire et améliorer le passage portuaire. » Et pour finir, toute résolution ou action qui ne serait pas prise dans cet objectif « sera considérée comme une attaque et sera combattu au niveau mondial ». Les choses sont claires : l’automatisation dans les ports ne doivent pas détruire les emplois sous peine de voir des grèves internationales paralysées les ports. Nous avons vu, en novembre, des dockers allemands retarder le déchargement d’un navire parce que des employeurs portugais ont décidé d’employer des intérimaires pour remplacer des grévistes. Ce qui était difficilement concevable il y a quelques années pourrait bien se mettre en place prochainement. Et l’automatisation dans les ports pourrait devenir un sujet brulant sur la table des négociations dans les prochains mois tant au niveau national qu’européen voire mondial.
Et puis, tout au long de l’année, les armateurs vont commencer à adapter leurs navires pour satisfaire aux obligations imposées par l’OMI de ne pas émettre plus de 0,5% de soufre. Ce que les spécialistes appellent le Cap 2020. À cette date, les navires devront utiliser des soutes moins polluantes ou adapter leurs navires avec des systèmes de captation de soufre en sortie de cheminée. Une mesure qui permettra de réduire efficacement l’empreinte carbone du transport maritime. Les propriétaires des appartements donnant sur le vieux port de Marseille ne pourront plus se plaindre au début de l’été comme ils le font chaque année en voyant les paquebots venir polluer l’air de leur ville si sain. Il reste que cette mesure a un coût non négligeable pour chaque navire. Et au final, ce sera le consommateur qui verra les produits qui ont transité par mer augmenter. Les États ne prennent pas la mesure à la légère. Déjà en décembre, un navire a écopé d’une amende en France pour ne pas avoir respecté les émissions de soufre en Manche. Encore une fois il faudra être vigilant puisque chaque État aura la liberté de décider des sanctions. Encore une fois, la France pourrait être encore plus royaliste que le roi.
Un avenir pour le Grand port maritime de Bordeaux
D’autres sujets devraient émailler cette année et poser encore de nombreuses questions. Nous pensons notamment au rapport établi par des membres du Conseil général du développement durable sur la politique portuaire. Ce document (voir notre article) pose aussi la question de la politique ferroviaire en France pour le fret, celle pour le fret fluvial et son développement mais aussi de l’avenir du Grand port maritime de Bordeaux. En cette fin d’année, le port girondin a subi bien des attaques. Certains ont même été jusqu’à prédire sa fin comme port maritime de commerce. Une aberration ? Parlez-en localement et vous verrez que des personnes bien intentionnées visent déjà les terrains situés en bordure de Gironde. Et si au lieu d’essayer d’optimiser socialement les ports de Seine, une personne serait nommée pour redonner aux ports de l’Atlantique une nouvelle dynamique ? Il serait temps de voir une véritable politique portuaire qui prenne en compte les particularités régionales. En 2008, le gouvernement de François Fillon a réformé l’organisation portuaire pour permettre aux ports français de concurrencer ceux du nord de l’Europe. En 2018, Anvers a réalisé un trafic conteneurs de 11 MEVP, soit le double de l’ensemble des ports français. Dominique Bussereau, réveilles toi, ta réforme n’a pas porté ses fruits.
Voilà quelques éléments qui viendront émailler notre année et nous apporter des soucis. Il faudra encore toute la bonne volonté des portuaires français pour se maintenir. Bon courage et bonne année à tous.
Hervé Deiss