Corridors et logistique

Conflit Ukraine/Russie : les matières premières connaissent des bouleversements

L’entrée des troupes russes en Ukraine et les sanctions imposées par de nombreux pays bouleversent les flux de matières premières. Des céréales au bois en passant par le gaz et le pétrole, les cours s’envolent et les flux pourraient bien se modifier sur le long terme.

L’Union européenne a publié petit à petit des sanctions contre les oligarques russes empêchant par la même des flux établis depuis plusieurs années à se tarir. Les matières premières connaissent des changements qui, selon certains observateurs, pourraient durer dans le temps.

Des ports céréaliers approvisionnés par ferroviaire

Dans une conférence de presse organisée par FranceAgrimer le 28 février, Marc Zribi, chef de la division grains et sucre, a expliqué les enjeux de ce conflit. Les deux ports de l’est de l’Ukraine, Mariupol et Berdiansk, qui traitent environ 6% du trafic céréalier de l’Ukraine, sont fermés. Les principaux ports d’exportation des céréales ukrainiens, Odessa, Chornomorsk, Yuzhny et Mykolaiv sont l’objet d’attaques. « Chaque année, 70% des flux céréaliers entrant dans ces ports se réalisent par voie ferroviaire », souligne Marc Zribi. S’il est difficile d’avoir un état précis du réseau à ce jour, il n’en demeure pas moins que les ports sont l’objet d’attaques. Du côté du port russe de Novorossiysk, principale porte de sortie céréalière de Russie, les navires ont chargé jusqu’au 27 février.

Russie et Ukraine: 70% des exportations mondiales de céréales

Cette situation évolue heure par heure. Or, Marc Zribi souligne que la Russie et l’Ukraine pèsent ensemble 70% des exportations de céréales dans le monde. Un poids important qui reste malgré tout relatif sur cette fin de campagne. En effet, selon les derniers chiffres, le reste à exporter de ces deux pays est limité. Le conflit va peser sur la demande mondiale en blé, orge et maïs. « Pour certains pays, les sanctions et l’absence de ces deux pays sur les marchés mondiaux peuvent avoir des effets pour leur sécurité alimentaire ». La conséquence directe sera un retour à des stocks de sécurité, ce qui va peser encore plus sur ces marchés. Des pays comme le Liban, la Tunisie et d’autres d’Afrique sub-saharienne sont concernés par l’empêchement de l’Ukraine d’exporter. « Une vulnérabilité qui s’est accentuée par la sécheresse subie dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient », continue Marc Zribi.

Tournesol: 80% des exportations mondiales

Outre les céréales, le conflit va avoir un impact sur les huiles et les tourteaux de tournesol. Les deux pays réunis représentent 80% des exportations mondiales d’huile et de tourteaux de tournesol. Des produits qui entrent aussi bien dans l’alimentation humaine, pour l’huile, que dans l’alimentation animale, notamment pour les tourteaux. Des exportations qui sont principalement dirigées vers l’Inde, l’Union européenne et la Chine.

Un manque de 12 MT à 14 Mt

Pour faire face à l’absence de ces deux pays sur les marchés internationaux pour cette fin de campagne va modifier les paradigmes pour les prochaines semaines. Pour les négociants en céréales et oléagineux, la principale question se pose sur les potentiels marchés de substitution. Les stocks français de blé étaient attendus en fin de campagne à 3,5 Mt, contre 2,2 Mt pour une campagne moyenne. « Cela laisse environ 1,2 Mt exportable en plus par le marché français », a précisé Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales.

Un plus qui répondra partiellement à la demande mondiale. D’autres marchés comme l’Argentine et l’Australie ont connu une bonne récolte, mais cela ne suffira pas. « Nous devrions voir un manque entre 12 Mt et 14 Mt sur cette campagne », indique le président d’Intercéréales.

Pas de soucis pour la campagne actuelle

Pour les observateurs de FranceAgriMer et d’Intercéréales, la campagne actuelle ne devrait pas connaître de perturbations majeures. « La Russie va continuer de produire du blé sur la prochaine campagne. Selon les sanctions, ses capacités d’exportation seront plus difficiles sur la campagne 22/23 », alerte Jean-François Loiseau. La situation pour l’Ukraine est plus compliquée à prévoir.

Demain il faudra reconstruire

De plus, les enjeux de ce conflit sont aussi à voir sur un long terme. En effet, dès lors que les combats seront terminés, il faudra reconstruire une grande partie de l’Ukraine et notamment ses infrastructures. Quant aux régions productrices de céréales, l’état actuel des semis et la capacité du pays à produire est difficile à estimer sur la prochaine campagne.

Maritime: chute des taux de fret

Ces bouleversements des marchés céréaliers s’est répercuté directement sur les indices des taux de fret maritimes. Au 25 février, le Baltic Panamax Index affichait une hausse de 11,1% à 23 922 $/j. « Le cours a dramatiquement dévissé dès les premiers événements en Ukraine », indique dans son rapport hebdomadaire le courtier Bancosta. Tous les navires qui étaient attendus en mer Noire ont été détournés pour sortir de cette mer. Le même constat est dressé pour les navires de types Handysize et Kamsarmax. Dès les premiers pas des troupes russes en Ukraine, le taux de fret d’un navire sur la mer Noire est passé de 20 000 $/j à 13 000 $/j, selon le courtier maritime. Plusieurs navires de ce type ont été touchés lors d’escales, notamment un navire turc qui chargeait dans le port d’Odessa.

Gaz: 70% du champ de Yamal pour l’Europe

Outre les céréales, le GNL est largement touché par ce conflit. La Russie, explique le courtier maritime Banchero Costa, se place à la quatrième place des exportateurs de GNL derrière le Qatar, l’Australie et les États-Unis. En 2021, la Russie a exporté 30,3 Mt de gaz. Un flux en progression de 5,4% sur cette année. Une grande partie de ce gaz part du champ gazier de Yamal, dans l’arctique russe. En 2021, Yamal a exporté 19,5 Mt de gaz, selon Banchero Costa, dont 70% sont partis pour l’Europe.

Les sanctions contre les exportations de gaz et de pétrole russes vont avoir un impact important en Europe. Avec presque 40% des exportations gazières russes, l’Union européenne devra trouver de nouveaux marchés pour s’approvisionner. Cette dépendance gazière de l’Europe s’est accrue au cours des années. Avec 12,1 Mt exportées vers l’UE en 2021, ce flux a triplé en trois ans, depuis 2018.

L’autre source d’exportation du gaz russe se fait depuis le site de production de Prigorodnoye, situé sur les îles Sakhaline. Il assure 33% des exportations gazières russes. Le GNL part principalement vers le Japon, la Corée du sud, Taïwan et la Chine. Or, à l’exception de la Chine, ces pays se sont calqués sur les mesures prises par l’Union européenne et les États-Unis.

Seconde envolée des prix du gaz

L’absence de la Russie sur le marché gazier a déjà fait grimper les prix. Or, ce produit est aussi essentiel pour la production d’engrais. Or, déjà, pendant l’été dernier, les prix du gaz ont connu une première envolée. Cette nouvelle hausse va peser sur le prix des engrais. Bien plus que le prix de ces engrais, c’est leur disponibilité sur le marché mondial qui est mis à mal. Selon Marc Zribi, la Russie réalise 24% des exportations d’engrais azotés mais ne produit que 2,3% du total mondial. Pour le responsable de la division grains et sucre de FranceAgriMer, l’effet sera limité.

Engrais potassiques: pas de compensation de l’absence de la Russie

Les impacts de l’absence de la Russie se fera plus durement sentir sur les engrais phosphatés puisqu’elle représente 17% du marché mondial. Quant aux engrais potassiques, la Russie et le Belarusse pèsent 40% du marché mondial. Ces engrais sont essentiels pour la production de canne à sucre. Ainsi, le Brésil, principal acheteur de ces engrais risque de voir sa production sucrière perdre des volumes. L’absence de la Russie sur le marché des engrais potassiques ne pourra pas être compensé par la production canadienne, allemande, israélienne et jordanienne.

Bois: des effets pour le Japon

Enfin, la Russie a toujours occupé une place importante dans les flux de produits forestiers. À l’été 2021, le gouvernement de Moscou a décidé d’interdire les productions forestières brutes. Depuis le 1er janvier, la Russie a interdit les exportations de bois sans transformations. Or, le pays se place en deuxième position de bois sciés vers le Japon, derrière l’Union européenne. Pour l’ITTO (International Tropical Timber Organisation), l’effet des sanctions du Japon sur les approvisionnements de bois reste difficile à estimer. D’un autre côté, la Russie était aussi fournisseur de bois sciés pour la Chine. Les premières annonces de sanctions ont permis à l’Europe de gagner des parts de marché sur le marché chinois.