Juridique et social

Fret SNCF en sursis vers une nouvelle organisation

Le 23 mai, une réunion entre le ministère des Transports, la direction de la SNCF et les organisations syndicales a évoqué l’avenir de Fret SNCF.

Le 18 janvier, la Commission européenne ouvre une enquête contre l’État français. Cette procédure vise à examiner des aides illicites que le gouvernement aurait attribuer à Fret SNCF. Elles auraient entraîner une distorsion de concurrence. Le gouvernement devrait récupérer 5,3 Md€ auprès de Fret SNCF. Le gouvernement a décidé de prendre les devants et d’entamer une réorganisation de la filiale fret de la SNCF.

Le soutien au fret ferroviaire

Le ministre des Transports, Clément Beaune, a rappelé son soutien au fret ferroviaire lors des questions au gouvernement au Sénat le 24 mai. « Je crois fermement en l’avenir du fret ferroviaire et c’est une part essentielle de notre planification écologique », a répondu Clément Beaune à la question du sénateur écologiste Jacques Fernique. Parce que le débat sur l’avenir de Fret SNCF intervient le lendemain de la présentation, par la première ministre, Élisabeth Borne, du plan de transition écologique. Un plan qui consacre un volet à la décarbonation du transport.

330 M€ par an de 2025 à 2030

Pour aller dans le détail du plan présenté par le gouvernement, le ministre a annoncé des enveloppes budgétaires supplémentaires. Dans le Plan de relance, une enveloppe de 170 M€ est d’ores et déjà prévue. Elle sera portée à 200M€ par an jusqu’en 2030, s’est engagé le ministre. Alors, avec les aides aux péages, le plan de relance et ces nouvelles mesures, le fret ferroviaire recevra chaque année 330 M€ de 2025 à 2030.

Un budget de 4Md€ pour les infrastructures

Ce plan prévoit aussi un budget de 4 Md€ dans les infrastructures jusqu’en 2032. Une partie de cette somme sera débloquée sur les quatre dernières années du quinquennat, soit 900 M€, dont 470 M€ seront intégrés dans les prochains CPER (Contrat de plan État-Région).

La création d’une nouvelle organisation

Parallèlement à ce plan et pour éviter une condamnation par l’Europe, le gouvernement propose la création d’un opérateur public dont la SNCF conservera une majorité. Un schéma d’évolution auquel le ministre pose des lignes rouges à ne pas franchir. En premier lieu, il refuse d’entendre parler de licenciements, tout au plus des mutations au sein du groupe. Ensuite, il veut conserver un opérateur public. La société pourra voir son capital ouvert, dans une proportion minoritaire, à des actionnaires privés. Enfin, il refuse de voir du report modal vers d’autres modes.

La gestion capacitaire à la société publique

Ce projet signifie pour Fret SNCF une redéfinition de son périmètre d’action. Le groupe conserverait la gestion capacitaire, à savoir la stratégie de wagons isolés et d’offres adaptées aux clients. Les trains dédiés à des clients, assurés par la SNCF, seraient remis sur le marché de la concurrence. Pour résumer, la future structure ferroviaire conserverait 80% des trafics quand les opérateurs privés pourraient reprendre 20% des trafics actuels de Fret SNCF. Une proportion inégale mais la gestion capacitaire demeure une activité plus aléatoire et variable. Quant aux salariés, ils seraient environ 500 à être transférés vers d’autres filiales de la SNCF ou des opérateurs privés.

Le refus d’une procédure judiciaire en Europe

La Commission européenne doit encore valider ces propositions. Dans sa réponse aux sénateurs, le ministre des Transports s’est dit attaché à trouver une solution avant la fin de l’année. « Nous avons deux alternatives. Soit, nous disons que nous allons au bout de cette procédure. Mais disons-le très franchement, c’est une quasi-certitude, c’est la mort totale de Fret SNCF, 4800 salariés et de milliers de kilomètres de rails en France. Je ne veux pas de cette solution », a assuré Clément Beaune. Soit, le gouvernement propose une solution pour annuler la dette de Fret SNCF à l’État. C’est cette solution que le ministre choisi.

Le gouvernement se précipite

De leur côté, les syndicats, à l’image de la Fédération des cheminots de la CGT, refusent cette voie. « Il s’agit en fait d’une pièce de théâtre orchestrée par les « savants fous » du néolibéralisme qui veulent mener à leur terme les réformes ferroviaires de 2014 et 2018, avant d’en entamer une nouvelle », rappelle un tract de la centrale syndicale. Manifestant devant le ministère le 23 mai, les différentes centrales syndicales ont rappelé que le gouvernement « se précipite alors que la Commission n’a pas encore rendu sa décision ». Et pour appuyer leur discours, les syndicats rappellent que depuis l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire en 2006, ce mode de transport a perdu 50% de parts de marché. En 2022, le ferroviaire entre pour 10% des flux terrestres.

Une obligation de transférer des flux au ferroviaire

Les syndicats proposent d’autres alternatives avec notamment l’obligation pour les chargeurs disposant d’entrepôts de grande taille de se voir contraint de transférer une partie de leurs flux vers le ferroviaire. « Le gouvernement entreprend des déclarations en faveur de la transition écologique d’un côté et prévoit, d’un autre côté, de mettre à mal le fret ferroviaire. Le secteur privé ne pourra tout faire dans les conditions actuelles. Il faut donc conserver un outil public et mener une véritable politique logistique en faveur du report modal », nous a confié un syndicaliste.

L’Alliance 4F prête à jouer le jeu

Enfin, du côté des opérateurs ferroviaires privés, regroupés dans l’Alliance 4F, l’annonce du gouvernement a reçu un accueil favorable. « L’Alliance 4F se félicite de ces mesures. Elles devront se concrétiser dans une programmation crédible pour constituer l’étape décisive pour le développement du fret ferroviaire annoncée par le ministre », indique un texte publié dès la réunion du 23 mai. Elle se dit prête à jouer le jeu de la concurrence. Elle accepte de « s’inscrire dans une dynamique de coopération et de concurrence saine afin que le secteur sorte renforcé de ces bouleversements structurels. L’ensemble de la filière est tendu vers l’objectif de doublement de la part modale entre 2021 et 2030 », continuent les opérateurs privés.

Dans l’attente de la concrétisation de ces annonces

Néanmoins, l’Alliance 4F termine son propos sur un ton plus vindicatif. En effet, elle rappelle que les intentions doivent être suivies d’effets concrets. « Pleinement mobilisée pour développer le fret ferroviaire et le transport combiné, l’Alliance attend de l’État impulsion et coordination pour prioriser les différents projets désormais sur la table. » Avant même que le gouvernement ne concrétise son projet, il doit recevoir le coup de sifflet du chef de gare, en l’occurrence, la Commission européenne.