Corridors et logistique

Afrique : face à la crise du Covid 19, les opérateurs ont réagi

Trois personnalités économiques de la chaîne logistique en Afrique ont débattu des conséquences de la crise sanitaire appliquée au continent, lors d’un webinaire organisé par le Medef International, le 6 mai. Il ressort que l’Afrique a su anticiper. Il faut espérer que les institutions et les sociétés privées sachent en tirer les bonnes leçons.

D’une part Philippe Labonne, directeur général adjoint de Bolloré Transport et Logistics, président de Bolloré Ports, d’autre part Georges Serre, conseiller institutionnel chargé des relations internationales de CMA CGM, et enfin Karim Aït-Talb, directeur général délégué de Géocoton se sont retrouvés le 6 mai dans un webinaire pour apporter leur analyse de la situation en Afrique avec la crise sanitaire. « Chaque pays a réagi différemment face à la crise sanitaire, mais tous ont considéré que la filière transport et logistique comme essentiel », a commencé par expliquer le représentant du groupe Bolloré. Qu’il s’agisse du groupe basé à Puteaux, de celui de Marseille (CMA CGM) ou de Géocoton, installé à Paris, la crise sanitaire du Covid 19 a pu être anticipée. Chacune dispose de filiales en Asie et plus particulièrement en Chine. Elles ont pu toutes apprécié l’ampleur de la crise qui toucherait les autres continents dès la fin de 2019, quand la Chine a été impacté. « Avec nos 50 000 salariés sur le territoire chinois, nous avons pu voir la propagation et l’ampleur du virus. Nous avons mis en place du télétravail pour certains et alerté nos équipes des autres continents », a souligné George Serre. Du côté africain, les choses ont été prises en main rapidement. « Certains États africains ont connu d’autres crises sanitaires comme celle d’Ebola. Ils ont rapidement pris les mesures nécessaires pour que l’activité économique continue et pour éviter une trop grande propagation du virus », a indiqué Philippe Labonne. Cette crise vient s’ajouter à d’autres défis propres à l’Afrique, a ajouté Karim Aït-Talb, comme le changement climatique et la crise sécuritaire. « Ce qui est important, a insisté le responsable de Géocoton, a été d’avoir une écoute attentive de la part des gouvernements. »

L’interface ville/port

Dans ce contexte, la logistique africaine a commencé à voir des modifications dans son essence. « Il a fallu revoir l’adaptation des lignes maritimes vers l’Afrique », a indiqué George Serre de CMA CGM. Et en chœur avec Philippe Labonne, les deux opérateurs de transport ont rappelé que cette crise sanitaire n’a pas changé les grands défis actuels de la logistique portuaire africaine : la congestion en sortie des terminaux. « Un effet de congestion parfois très long. Ainsi, à Lagos, il faut parfois un mois d’attente pour sortir un conteneur. À Pointe Noire, l’interface ville/port est telle que le port est rapidement congestionné », a cité le représentant du groupe Bolloré. La saturation et la congestion ont pour effet de créer une tension sur le stockage. Un défi qui peut s’avérer important puisqu’aujourd’hui il ampute de 6%, en moyenne, le PIB des pays africains en raison de cette congestion. « La solution peut se trouver dans l’amélioration des réseaux ferroviaires fret africains », continue Philippe Labonne. Pour un chargeur, cette congestion peut s’avérer un véritable souci. « Nous disposons de plantations de coton dans l’est du Burkina Faso. Pour acheminer la production vers le port de Cotonou, au Bénin, nous avons besoin de 795 camions. Nous vendons nos produits FOB sur l’Asie. Dès lors que l’acheteur retarde son chargement c’est toute la chaîne logistique et le stockage portuaire qui est touché en cascade », a rappelé Karim Aït-Talb.

Repenser le ferroviaire

Pour les acteurs intervenant lors du webinaire du Medef International, il est certain que cette crise aura des effets sur la répartition entre le rail et la route. « Nous sommes assurés que les gouvernements ont pris conscience de l’importance de la logistique et de la fluidité. Nous verrons des corridors se construire mais sur un terme un peu plus loin », a déclaré le représentant de CMA CGM. Outre le ferroviaire, le fluvial peut s’avérer être une alternative. Des premiers pas ont été réalisés sur le continent. Ainsi, le groupe Bolloré a mis en service une liaison fluviale sur le Congo pour desservir la République du CentrAfrique. Dans le port de Lagos, des liaisons fluviales intérieures permettent d’éviter les congestions portuaires. Et le responsable de Géocoton d’assurer que dans certaines situations le fluvial peut s’avérer intéressant.

Développer le commerce intra africain

Pour Philippe Labonne, il est aussi important de travailler sur la structuration du secteur privé logistique en Afrique. Cette crise sanitaire pourrait amener d’autres développements et, notamment le commerce intra-africain. Cela passe par le développement et la structuration du secteur industriel en Afrique. Développer l’industrie au plus près des bassins de consommation aura pour corollaire de voir le cabotage continental se développer. « Nous avons créé des lignes courtes rapidement, comme le montre l’exemple de la Tunisie et de la Libye, a indiqué George Serre. Nous pouvons le faire le long de la côte africaine ». Des éléments qui ne pourront se faire, selon Karim Aït-Talb que par la canalisation des fonds que l’Afrique recevra. « Les Russes ont suspendu leurs exportations de blé. L’Inde a suspendu ses exportations de riz. L’Afrique importe 48Md$ de produits agro-alimentaires alors qu’elle pourrait les produire à condition que nous accompagnons aussi ce développement ». La logistique doit intervenir en accompagnement de ce vecteur agricole.

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