Corridors et logistique

Céréales : la meunerie africaine entre défi logistique et choix de qualité

Les récoltes 2024 sont en baisse pour la seconde année consécutive. Une situation qui complexifie la logistique du blé pour les meuniers africains.

Un webinaire organisé par Argus Media a mis en avant les conditions du marché de la meunerie en Afrique. Le continent s’approvisionne en blé depuis les grands marchés internationaux. Or, les mauvaises récoltes 2024 entraînent un disponible à l’exportation en baisse cette année.

Une baisse de production pour la seconde année consécutive

« La baisse de récolte de blé en France, en Allemagne et dans une certaine mesure en Russie modifie les schémas logistiques des meuniers en Afrique », a commencé par expliquer Pierre Maury, analyste chez Argus Media. Cette baisse de production intervient pour la seconde année consécutive.

Un disponible à l’export en baisse …

De plus, la répartition de la disponibilité se modifie. Ainsi, le disponible à l’export depuis les pays de mer Noire, Russie et Ukraine principalement, s’amoindri. La situation est la même en Europe de l’Ouest avec des productions et des stocks faibles en France et en Allemagne, les principaux exportateurs de l’UE. Et Pierre Maury d’expliquer par des chiffres la situation. En France, le potentiel à l’export est estimé à environ 10 Mt. En Russie, les exportations baisseront de 5 Mt. Quant à l’Ukraine, le potentiel des sorties de blé est le plus faible depuis 2013.

… sans tensions sur les prix

« Pourtant, cette situation n’exerce pas de tensions sur les prix à l’heure actuelle », constate Pierre Maury. L’explication vient de ce que les marchés d’exportation de la Russie, comme le Bengladesh, le Pakistan et la Turquie ne sont pas intervenus sur les marchés internationaux. Cependant, les tensions peuvent survenir rapidement. Déjà, les meuniers d’Algérie et d’Égypte se couvrent sur le marché. « Il faut attendre une hausse du prix du blé dans les prochains mois, notamment depuis la Russie », assure l’analyste d’Argus Media. Selon les premières prévisions, il devrait croître de 15$/t entre les mois d’octobre et de février. Déjà, en octobre, le prix du blé russe a augmenté de 8$/t.

Acheter par anticipation

Plusieurs solutions existent pour les meuniers. Ils peuvent acheter sur le marché à terme avec un risque sur la qualité et la date de livraison. Ils peuvent se couvrir avec des achats prématurés stockés en silo. Les solutions sont nombreuses mais présentes des risques. Face à ce changement de paradigme dans le marché céréalier, Fabien Varagnac, consultant indépendant en farine et céréales, reprend les données pour expliquer les positions ouvertes. L’exercice de modélisation permet de calculer la quantité de farine en fonction de la qualité du blé et des spécificités du produit demandé. Il prend en exemple le blé lithuanien. Selon les critères choisis, une tonne de blé permet de fabriquer 794 kg de farine. Alors, pour disposer d’une tonne de farine avec du blé de cette origine, il faut 349$ de blé.

Le blé russe le plus compétitif

Dans ce contexte, le consultant a tenté de trouver les meilleures origines pour fabriquer de la farine en Afrique de l’Ouest. Ainsi, pour une farine à 10,5 de protéines, le blé russe demeure le plus compétitif. Il faut 20$ de la tonne de blé pour avoir une tonne de farine. Le blé lituanien verra son coût augmenter de 29$ par rapport au russe. Quant au blé français, il sera 43$ plus cher que le russe pour la même production de qualité. L’exemple de Dakar se décline qu’il s’agisse du port d’Abidjan ou de celui de Douala. La tonne de blé russe est plus compétitive par rapport au produit français de même qualité.

L’avantage fret ne gomme pas la différence du prix FOB

La logistique entre aussi comme un facteur décisif. Le différentiel de prix FOB entre le blé russe et le blé français est estimé à environ 10$/t. Alors, si le fret entre la France et l’Afrique de l’Ouest reste moins cher que depuis la Russie, il ne permet pas de gommer la différence à l’arrivée. Même si la logistique et le fret sont importants, les blés russes et plus généralement ceux originaires des pays de la mer Noire gagnent cette année en raison d’un prix FOB faible.

Les blés français ont su revenir

Alors, est-ce pour autant fini des blés français en Afrique ? Fabien Varagnac n’est pas catégorique. « Le blé français conserve une bonne qualité meunière en panification avec une homogénéité. Il est assuré que cette année, les prises de position sur le marché africain seront difficiles en raison du faible disponible. Cependant, il faut se souvenir que la production française n’est pas rectiligne. À chaque fois que les blés français ont eu des difficultés en raison de la récolte, ils ont su revenir les années suivantes. »

Trouver des « astuces » logistiques

Autre élément à prendre en compte, selon le consultant, la part importante de blé déjà exporté par la Russie. À fin octobre, le pays a expédié 41% de son disponible. Les meuniers devront, sur la seconde partie de la campagne se tourner vers d’autres origines. Or, si le blé argentin peut présenter des quantités intéressantes, le coût du passage portuaire demeure élevé. Une étude récente de l’UIA (Union Industria Argentina, Union des industries d’Argentine) montre que les surcoûts d’exportation s’évaluent entre 2% et 24% à l’exportation. Mais, les blés argentins devront sortir, nous a confié Fabien Varagnac. « Il faudra que le prix FOB baisse pour que ce blé sorte, alors qu’il n’est pas spécialement réputé pour sa qualité. » Alors, la situation va obliger les meuniers à regarder avec attention la situation des marchés de l’export et trouver des « astuces » logistiques pour s’approvisionner.