Politique

Déconstruction navale : dans le sous-continent indien, la filière s’affranchie des règles sociales et écologiques

La publication le 15 juin, du rapport bisannuel de Shipbreaking Platform analyse la situation des chantiers de déconstruction navale dans le monde. Les conditions sociales et écologiques des sites du sous-continent indien inquiètent l’organisation non gouvernementale.

En Inde, les porte-conteneurs forment une file d’attente sans précédent, indique un article de Mer et Marine. La raison tient « aux mesures de restriction empêchaient les navires de gagner les chantiers de démolition», continue le site d’information. Les équipages étrangers ne pouvant débarquer, les navires ont dû attendre avant de se rendre au « cimetière ».

1418 navires déconstruits

La filière de déconstruction navale reste une activité qui se concentre avant tout dans des sites en Inde, au Bengladesh et au Pakistan. Shipbreaking Platform, organisation non gouvernementale basée à Bruxelles, mène depuis plusieurs années une veille sur cette industrie. Elle a recensé 1418 navires envoyés dans des chantiers en 2018 et 2019. 987 de ces navires ont été déconstruits dans les chantiers du sous-continent indien.

Pakistan : les plus grands navires

Les navires envoyés à la casse sont surtout des pétroliers, suivis par les navires vraquiers, les porte-conteneurs, les rouliers et les navires de passagers. Dans les trois pays du sous-continent indien, le Pakistan remporte la palme des navires les plus grands, suivi par le Bengladesh. L’Inde reçoit des navires de taille moyenne. Enfin, la Turquie réceptionne plutôt des navires de petite taille.

Les Émirats Arabes Unis et la Grèce en haut de la liste

Shipbreaking Platform a dressé un classement des propriétaires des navires avant leur envoie à la démolition. Deux États se retrouvent depuis plusieurs années en haut de ce classement : les Émirats Arabes Unis et la Grèce. Les armateurs émiratis ont envoyé 106 navires dans les chantiers indiens et pakistanais. Quant à la Grèce, d’une part, et aux armateurs européens plus généralement, ce sont 271 unités envoyés en Asie du sud-est.

La responsabilité de l’Union européenne

« Les armateurs de pays de l’Union européenne et de l’AELE sont responsables d’un tiers des navires vendus aux chantiers du sous-continent. L’Union européenne contrôle 40% de la flotte mondiale. Ainsi, elle a une responsabilité particulière pour trouver une solution à cette crise écologique et sociale », indique le rapport de Shipbreaking Platform.

L’Inde a ratifié la convention de Hong Kong

L’ONG analyse les principaux chantiers de déconstruction par pays. En Inde, le point positif a été la ratification de la convention de Hong-Kong (convention internationale qui prévoit un recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires. Elle entrera en vigueur quand les États représentant ensemble 40% de la flotte mondiale l’auront signée. Aujourd’hui, les signataires pèsent 3%). Une ratification intervenue le 29 novembre 2019.

Dans son descriptif de la situation sociale et écologique en Inde, Shipbreaking Platform souligne qu’en 2018, 14 personnes sont mortes dans les chantiers. En 2019, deux nouveaux décès sont à déplorer. « Des chiffres qui ne sont qu’une partie de la réalité, souligne le rapport. Le manque de transparence de cette industrie empêche d’avoir des données fiables ».

Des certificats critiquables

Malgré la ratification de la convention et la mise en place d’un code de bonne conduite sur les conditions de déconstruction des navires, l’Inde ne garantit pas des conditions sociales et environnementales suffisantes. Les certificats délivrés par les autorités pour 90 chantiers indiens sur les 154 du pays ne prennent pas en compte les conditions de sécurité et d’environnement appliquées.

Bengladesh : un cumul alarmant

La déconstruction des navires au Bengladesh
Image tirée de Google Earth montrant le 22 juin, les navires en déconstruction près de Chittagong.

Chattogram, sur la côte bengalaise, remporte la palme du plus important tonnage de navires envoyés à la déconstruction en 2019. Les chantiers de cette région cumulent de nombreux défauts. Ils ont enregistré en 2018 et 2019, 44 décès et 46 personnes gravement blessées. Les conditions sociales y sont déplorables et le travail des enfants régulier. Les rejets en mer et dans l’air de pollution sont les plus élevés. De nombreux déchets hautement toxiques disparaissent.

Des contrevenants pas inquiétés

Pour faire front à cette situation, les juges de la Cour suprême bengalie ont ordonné la fermeture des chantiers. La décision n’a porté ses fruits que deux mois après lesquels les chantiers ont de nouveau ouverts. En 2016, la même juridiction a confirmé sa décision. « Les lois nationales ne sont pas appliquées en raison du manque de capacité pour les faire exécuter ou par la pression des industriels. De plus, les navires sont importés avec de faux documents attestant qu’ils n’ont aucun déchet toxique à bord », indique Shipbreaking Platform.

Pakistan : fermeture de plusieurs chantiers

Les chantiers pakistanais de déconstruction se situent principalement dans la ville de Gadani. Les conditions sociales et environnementales sont tout aussi difficiles qu’en Inde et au Bengladesh. En 2018, l’activité a été sensiblement réduite. La dévaluation de la Roupie pakistanaise et l’importation de billettes d’acier à bas prix depuis des pays voisins ont amené la fermeture de chantiers.

Un bref moratoire après deux explosions

Si les chantiers ferment, les conditions environnementales restent préoccupantes. Ainsi, le 1er novembre 2016 et l’explosion d’un pétrolier, le Aces, a causé la mort de 31 personnes. Un chiffre auquel il faut ajouter les blessés. Début 2017, un second pétrolier a explosé causant encore des victimes. Le gouvernement a pris des mesures pour interdire l’importation de pétroliers. En 2018, cette interdiction a été levée.

Une filière qui s’étend à toute la planète

Au-delà du sous-continent indien, d’autres pays participent à cette activité, y compris en Europe. Ainsi, les chantiers turcs restent des acteurs importants de cette filière. Si les conditions sociales y sont moins alarmantes qu’ailleurs, les rejets de peinture de navire et de soudures polluent les eaux locales. Shipbreaking Platform note toutefois que l’association des industriels turcs mènent des campagnes d’amélioration des conditions environnementales.

En Europe, un besoin de nouvelles capacités

En Europe, 34 des 41 chantiers de déconstruction ont reçu un certificat de conformité. Ils assurent la démolition de navires appartenant aux États européens pour la plupart. Ils ont malgré tout alerté les autorités européennes. Si cette filière devait se développer, ils auront besoin de nouvelles capacités compte tenu du marché à assurer.

La Chine refuse les navires étrangers

Parmi les autres acteurs de cette filière, les chantiers en Chine ont fermé leurs portes aux navires étrangers. Pékin veut se racheter une virginité environnementale. Ensuite, aux Philippines, un projet a été présenté par le gouvernement. Il fait l’objet de nombreuses critiques par Shipbreaking Platform et les organisations agricoles locales. Enfin, en Indonésie, la filière naissante inquiète l’ONG sur les conditions sociales et environnementales appliquées localement.

 

Le green washing de la filière

Un navire n’a pas d’obsolescence programmée. Cependant, après plusieurs années de service, il est plus économique de le démolir que de le réparer. Il devient alors un déchet. Pour éviter de tomber sous le coup de la réglementation internationale, les armateurs font appel à des sociétés tierces pour vendre leurs navires.
L’armateur va céder son navire à un trader spécialisé qui va changer le pavillon du navire pour le passer sous des registres de complaisance comme Saint Kitts et Nevis ou autres. Cela permet pour un armateur occidental de ne pas être responsable de la fin de vie de son navire. Le trader se charge ensuite de le vendre à un chantier.
Parmi les acteurs de ce système, la société GMS reste un des principal acteur. Basée aux États-Unis, la société travaille principalement avec les chantiers indiens, pakistanais et bengalis. La société annonce sur son site avoir entrepris des développements pour participer à un « verdissement » de cette industrie.
Elle s’est offert une page de publicité dans Trade Winds pour expliquer « sa croisade pour des changements vers plus de durabilité et de compréhension de cette industrie ». GMS a créé une « Green Team » pour assurer aux armateurs des procédures respectueuses des conventions internationales et des sessions de formation pour les ouvriers des chantiers.