Corridors et logistique

Vracs secs : le marché est au bord de l’asphyxie

L’industrie des vracs secs est confrontée aux mêmes troubles que les autres filières de l’industrie maritime. Les armateurs doivent faire face à de nouveaux paradigmes. Les semaines à venir s’annoncent difficiles.

La presse se fait l’écho des difficultés rencontrées par les armements conteneurisés. Ils interviennent principalement dans le transport de produits manufacturés. Or, avant leur transformation, ces produits nécessitent des matières premières transportées par le vrac. Les difficultés actuelles de cette filière ne sont pas sans faire peser une épée de Damoclès sur l’économie mondiale.

Retour vers 2016

Dans la dernière analyse de marché du début du mois de juin, le Bimco, Baltic International Maritime Council, s’inquiète de voir l’histoire se répéter. En 2016, la baisse d’activité économique a amené une diminution de la production industrielle. La Chine et les principaux pays manufacturiers ont réduit considérablement leur demande en matière première. La conséquence ne s’est pas fait attendre sur le marché des vracs secs.

Le BDI s’affiche à 500 points

Au cours du premier trimestre de cette triste année, l’indice Baltic Dry est tombé à 291 points. Sur les premiers mois de 2020, la situation n’est pas encore aussi dramatique. Le BDI affiche en juin un indice de 500 points. « Le marché des vracs secs connaît une situation similaire à celle des années antérieures avec des conditions différentes. Avec une demande en baisse en 2020 et une flotte en hausse ces dernières années, les armements devront faire face à une nouvelle année de déficit », analyse Peter Sand, analyste économique du Bimco.

La flotte des vraquiers continue de croître
Évolution de la flotte des navires vraquiers au cours des dernières années. Une image tirée de l’analyse de marché du Bimco. © Bimco et Clarcksons

Un début d’année erratique

L’année a pourtant bien démarrée. En janvier, profitant d’une bonne campagne céréalière, les Supramax et Panamax ont vu leur taux de fret augmenter. Une situation qui n’a pas durée. Les Capesize intervenant pour 40% de l’indice général des vracs secs, ils ont fait plonger le BDI. Fin janvier, l’indice pour les Capesize (BCI) s’est inscrit en négatif dans certaines régions jusqu’au mois de mars. Après avoir repris des couleurs, le BCI a de nouveau chuté à 82 points le 1er juin, soit 1568 points en dessous de son niveau de juin 2019.

Une perte de 11 643 $ par jour

Avec un indice aussi bas, les taux de fret ne couvrent pas les coûts d’exploitation. Pour l’analyste du Bimco, les armateurs affichent des pertes de 11 643 $ par jour et par navire. « Des pertes qui ne pourront pas s’éterniser dans le temps », annonce Peter Sand. Bien plus, l’importance de ce segment de marché entraîne avec lui des baisses de taux de fret des autres types de navire.

L’effet climat sur le marché

Ces tendances observées sur le premier trimestre se répercutent dans les résultats des armements opérant dans cette filière. Outre les difficultés structurelles du secteur, une offre bien supérieure à la demande, les armements ont aussi dû faire front à des conditions particulières. Ainsi, l’armement sud-coréen Pan Ocean explique dans son rapport trimestriel de mars 2020 le rôle joué par le cyclone intervenu en Australie. Les chargements de minerais de fer n’ont pu se réaliser. Les pluies torrentielles qui ont ravagé le Brésil en début d’année a impacté les conditions logistiques. Enfin, les mesures de confinement ont réduit la demande en charbon, notamment en Chine.

Application de la réglementation OMI sur les émissions de gaz

Outre les difficultés du marché, les armateurs ont été tenus de mettre leurs navires aux normes dans le cadre de la réglementation intervenue le 1er janvier 2020, limitant les émissions de CO2. La facture a été parfois élevée. Ainsi, dans son rapport trimestriel, Star Bulk rappelle que la mise aux normes de 114 navires, sur les 116 en sa possession, lui a coûté 200 M$. Il doit encore investir 12 M$ pour la mise aux normes de ses dernières unités.

Gérer la situation de crise

Dans les conditions actuelles du marché, l’industrie du vrac sec doit faire face aux difficultés de changement d’équipage. L’impossibilité de voyage pour retourner à leur domicile ou pour faire venir de nouveaux équipages oblige les armements à immobiliser des navires. « De plus, nous avons des soucis pour faire acheminer des pièces détachées vers les navires et des ingénieurs pour les réparer », continue le rapport trimestriel de Star Bulk.

Observer l’évolution du minerai de fer

Dans les conditions du premier trimestre, les armements doivent vivre en partie sur leurs réserves. Les prévisions établies par les différents groupes dans leur rapport trimestriel demeurent optimistes. La Chine a levé des restrictions à l’importation. Les usines dans l’hémisphère nord commencent à ouvrir de nouveau. Les gouvernements injectent massivement des fonds dans l’économie pour son redémarrage. Cela suffira-t-il ?

« Il est prématuré de prévoir le redémarrage de la filière des vracs secs. Le retour à des niveaux intérieurs dépendra en grande partie de la situation des minerais de fer. Il sera un baromètre à observer pendant les prochains mois », indique le rapport trimestriel de Golden Ocean Group.

L’œuf et la poule

Le marché des vracs secs dépend en large partie du charbon et du minerai de fer. Deux matières premières qui entrent pour des usines comme la sidérurgie ou la fabrication de matériaux pour les produits manufacturés. Une grande partie de ces produits sont utilisés pour la construction automobile. Or, les dommages générés par la pandémie sur cette filière sont tels qu’il paraît difficile de voir un rebond dans les prochains mois. Sans une hausse de la demande en acier, aluminium et autres matériaux pour les produits manufacturés, l’économie ne repartira pas.
Une situation qui aura pour effet de ralentir aussi la production de produits manufacturés. Cette dernière aura sur le monde de la conteneurisation un effet boomerang. Pour cela, les mesures engagées par les différents gouvernements doivent jouer à fond leur rôle dans le retour à la consommation. En France, les 500 Md€ accordés par le gouvernement semblent être destinés à financer des pertes d’emploi plus qu’un retour à la croissance.

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