Gouvernance portuaire : le Sénat examine la proposition de loi sans aller plus loin
Le 8 décembre, le Sénat a examiné la proposition de loi sur la gouvernance portuaire. La proposition a franchi la première étape en retirant l’article prévoyant la décentralisation régionale des Grands ports maritimes. L’avenir de ce texte est déjà remis en cause.
Pour les opérateurs portuaires, la présentation devant le Sénat de la proposition de loi sur la gouvernance portuaire le 8 décembre représentait une avancée dans l’attractivité de ces établissements. Dans sa présentation, le sénateur de l’Union centriste et co-auteur, avec Michel Vaspart, de cette proposition de loi, Hervé Maurey a souligné les absences que la France cumule en matière portuaire : un manque de volonté politique, des investissements qui se font attendre et une stratégie nationale qui tarde à venir.
La relance par la création de zones de relance économique temporaire
La proposition de loi s’articule autour de trois axes. Le premier vise à renforcer l’intégration des collectivités locales à la politique portuaire. Le deuxième prévoit la relance de l’attractivité par la création de zones de relance économique temporaire dans les ports. Une forme non dissimulée en faveur de zones franches pour développer le système portuaire français. Enfin, le troisième axe doit soutenir le verdissement de l’activité logistique portuaire.
400 M€ d’investissements
La réponse du gouvernement ne s’est pas fait attendre par la voix du ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari. Il a rappelé les promesses d’investissement faites par le gouvernement dans le cadre du plan de relance. Il prévoit une enveloppe de 400 M€ pour les ports et le transport fluvial à laquelle viendra s’ajouter celle destinée à la SNCF de 1Md€. Cette somme prévoit notamment des investissements aux autoroutes ferroviaires.
Une charte portuaire pour un socle social
Le représentant du gouvernement a rappelé la signature, le 7 octobre, d’une Charte portuaire entre les organisations professionnelles de la logistique portuaire et les partenaires sociaux. Elle donne un nouveau socle social aux ports. Enfin, Jean-Baptiste Djebbari a indiqué que la stratégie nationale portuaire sera publiée en début d’année 2021. Autant d’éléments qui devraient permettre aux ports français de gagner des parts de marché.
Le bon équilibre dans les GPM
Quant à la gouvernance, le ministre a rappelé que les équilibres issus des réformes de 2008 et de la loi de 2016 apportent aux Grands ports maritimes une « bonne coordination ». Et pour résumer sa pensée, Jean-Baptiste Djebbari a indiqué que le gouvernement agit. « Nous partageons de nombreux points de vue de cette proposition de loi », mais « je vous propose de travailler ensemble sur divers sujets hors du cadre législatif. »
L’entrée des UMP dans les conseils de surveillance
Après avoir mené ce premier round d’observation, les sénateurs sont entrés dans le vif du sujet avec le débat sur les différents articles. L’examen des premiers articles n’a pas apporté de grandes modifications. L’article 2 de la proposition de loi a été adopté. Il stipule l’entrée du président de l’Union maritime et portuaire locale au conseil de surveillance. Une exigence forte de la part de ces organisations. Seul un amendement présenté par la sénatrice du nord Martine Filleul a été rejeté. Il visait à conserver le nombre de représentant du personnel dans les conseils de surveillance. En effet, le texte prévoit une réduction du nombre de personnel de 3 à 2 pour permettre à SNCF Réseau d’entrer dans ce cénacle. Une demande rejetée à la majorité.
La régionalisation retirée du texte
Rapidement, les sénateurs sont passés à l’examen de l’article 6 de la proposition de loi. Plusieurs sénateurs de l’opposition ont déposé un amendement pour retirer cette disposition. « Cet article, qui prévoit le transfert des grands ports maritimes aux régions qui le souhaitent, est inopportun », a indiqué Pascal Martin, sénateur du groupe Union centriste. Le sénateur a souligné que dans le contexte d’avant les élections régionales, cette mouvance vers une régionalisation « semble décalée ».
Des éléments essentiels pour l’État
Une analyse suivie par Martine Filleul, sénatrice Socialiste, Écologiste et Républicains. « Le transfert à une région d’un grand port maritime ne nous semble pas opportun. Ce sont des maillons indispensables de la logistique, des outils de souveraineté nationale, qui assurent la continuité des approvisionnements en produits agroalimentaires ou en matériel médical ».
Une coopération plus qu’une concurrence entre ports français
Bien plus, pour la sénatrice, le risque de voir une région « céder » son Grand port maritime à la Chine pendant une période de crise reste entier. Encore, continue la sénatrice, cette régionalisation des Grands ports maritimes « ne correspond pas à une demande des autorités portuaires ». De plus, ce transfert aux régions des GPM pourraient faire naître entre les différentes catégories de ports une concurrence. « Nous avons plus besoin d’une coopération que d’une concurrence entre les ports français », a souligné Martine Filleul. Enfin, la sénatrice du Nord s’inquiète qu’un transfert aux régions des GPM pourraient être motivé par des préoccupations financières de l’État plus que par des soucis de stratégie.
Les GPM ont un rôle national, pas seulement régional
Du côté du groupe sénatorial des Indépendants, Pierre Médevielle a rappelé que le rôle des Grands ports maritimes dépasse de loin le spectre régional. « Les ports ont un rayonnement national voire international comme le démontre les GPM du Havre, de Marseille ou encore de Dunkerque ». Et pour enfoncer le clou, il a déclaré : « N’allons pas ouvrir la voie à des années de débats et d’immobilisme, à une absence de stratégie de développement national, à un manque de coordination des investissements. »
L’exemple concret d’Haropa
Un autre argument en faveur de cet amendement est un exemple concret posé par Pascal Martin. Prenant l’hypothèse de Haropa qui regroupe deux régions, celle de Normandie et celle d’Île de France, que se passerait-il si une seule des deux régions demandait le transfert de l’ensemble portuaire après le 1er juin 2021 ? « Il deviendrait difficile d’organiser la bonne marche de cet établissement. Un sujet aussi sérieux doit être examiné après la tenue des élections régionales », a indiqué le sénateur de Seine Maritime.
Le retrait de l’article 6
Face à ces avis contraires, le rapporteur de la proposition de loi, Didier Mandelli, a souligné que des garde-fous ont été incorporé pour éviter de voir des dérives. Il a appelé à un vote de sagesse de la part du Sénat sur cet amendement. Quant au ministre chargé des Transports, il a émis un avis favorable à cet amendement. « Aucune région ne souhaite une telle mesure », a indiqué Jean-Baptiste Djebbari, sauf peut-être l’Aquitaine pour le GPM de Bordeaux. Et Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde, d’aller en sens inverse. « Je vous assure que le port de Bordeaux envie la gestion régionale du port de Bayonne. J’entends les arguments d’Agnès Canayer, mais je ne crois pas que cet article menace la stratégie nationale. » Finalement, l’amendement sera adopté et l’article 6 retiré.
Service portuaire minimum
Second point de discussion entre les différents groupes sénatoriaux, l’article 8 sur les exigences de service portuaire minimum. Un amendement de Martine Filleul demande au retrait des dispositions. Pour la sénatrice du Nord, cet article est issu des recommandations du rapport publié conjointement avec Michel Vaspart. Or, pour la sénatrice du groupe Socialiste, Écologiste et Républicains, l’article 8 renforce les exigences en matière de service minimum. « Il constitue une remise en cause du droit de grève. » Même si la réquisition a été abandonnée lors de la discussion en commission, cette exigence demeure pour le remorquage. Elle a été enlevée pour le pilotage et le lamanage.
Plus un problème de sous investissement qu’un souci social
« Même limitées, de telles mesures sont contreproductives et risquent d’envenimer les conflits, car la grève est souvent le symptôme d’une absence ou d’une insuffisance de dialogue social. » Michelle Gréaume, sénatrice du Nord du groupe Communiste, Socialiste Républicain et Écologiste, abonde dans le sens de Martine Filleul. « La compétitivité des ports souffre d’abord d’un sous-investissement chronique, pas des grèves ni du coût du travail. Doit-on rappeler qu’un travailleur portuaire a une espérance de vie inférieure de sept ans à la moyenne ? »
Des incidences juridiques
Pour le rapporteur de cette proposition de loi, l’article a déjà été déshabillé d’un certain nombre de professions comme le pilotage et le lamanage. « Notre souhait n’est pas d’agiter un chiffon rouge mais de répondre à un souhait des acteurs portuaires ». Pour sa part, le ministre des Transports, s’est montré plus nuancé. Il a rappelé que cet article pose des questions d’ordre juridique pour mobiliser des salariés d’entreprises privées comme le sont les sociétés de remorquage. Ensuite, d’un point de vue social, ces dispositions « risquent aussi de créer des difficultés sociales en nuisant à la concertation ».
Malgré la position du ministère et les arguments développés par les sénateurs, l’article 8 est adopté. Il pourra donc être prévu un service minimum pour le remorquage. Cet article vient surtout à la suite du mouvement des remorqueurs au début de l’année 2020 qui a bloqué plusieurs ports.
Concession de terminal: des minima sur les modes massifiés
Dernier point saillant de ce texte, la volonté d’ajouter à la suite de l’article 15 un nouvel article obligeant les concessions de terminal à prévoir un report modal de 20% vers les modes massifiés. Un amendement présenté par Martine Filleul. « Il convient d’aller au-delà de la possibilité de prévoir, dans les conventions de terminal, une part dégressive du montant de la redevance due en fonction de la performance environnementale de la chaîne de transport. Cet amendement prévoit des critères environnementaux, afin que des objectifs contractualisés de part modale alliés à un signal prix tenant compte des externalités soient mis en place par les ports », a indiqué la sénatrice du Nord.
Requalifier les conventions en contrat de concession
Face à cet argument, le rapporteur, Didier Mandelli, a développé un contre argument juridique. En imposant un minimum de trafic vers des modes massifiés, les conventions de terminal seraient requalifiées en contrats de concession. Un effet juridique de taille pour toutes les conventions des GPM qui devraient être revues de fond en comble. Bien plus, le rapporteur de la proposition de loi souligne que cela pourrait s’avérer difficile à atteindre « compte tenu de l’état des réseaux ferroviaires et fluviaux. Je préfère la négociation à imposer des minima », nous a confié Didier Mandelli.
Une proposition que le gouvernement ne soutien pas
Les débats de cette proposition de loi se sont déroulés en plus de trois heures. Et si cet après-midi sénatorial n’était qu’un coup d’épée dans l’eau ? Dès l’exposé des motifs, Jean-Baptiste Djebbari a donné le ton. « Le Gouvernement ne soutient pas en l’état cette proposition de loi. » Pour expliquer cette position, il a rappelé que « le gouvernement agit pour rendre nos ports plus forts et plus durables. Mais cette proposition de loi est-elle le bon véhicule ? Je ne le pense pas. Nombre de ses dispositions relevant du domaine réglementaire et étant pour beaucoup en cours de mise en place. » Il a renvoyé certains sujets à d’autres textes plus généraux et à la Stratégie nationale portuaire attendue depuis deux ans.
Cette position de voir le texte mort-né au Sénat semble être partagée. Selon le rapporteur Didier Mandelli, il est peu probable que le texte soit transmis à l’Assemblée nationale. Une ordonnance serait actuellement à l’examen pour installer une gouvernance partagée avec le privé dans les conseils de surveillance. Au final, un coup d’épée dans l’eau qui a eu un mérite : engager des débats sur le sujet.