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TIC 4.0 : vers la standardisation digitale de l’industrie de la manutention portuaire

L’association TIC 4.0, démarrée en 2018, entre aujourd’hui dans une phase de développement avec la publication de définitions et la création d’une méthodologie. Aujourd’hui composée de manutentionnaires, d’équipementiers et de fournisseurs de composants, TIC 4.0 veut aller plus loin dans le travail de normalisation engagé en s’adressant aussi aux ports fluviaux et aux terminaux ferroviaires.

Engagé en 2018, la définition de standards pour l’industrie de la manutention est entrée dans une phase de plus grande ampleur avec l’entrée en décembre du groupe hongkongais Hutchison Ports et celle prévue en janvier 2022 du groupe de manutention américain Ports America. Boris Wenzel, fondateur et président du Terminal Industry Committee 4.0 (TIC4.0), l’association de l’industrie des terminaux 4.0 basée à Bruxelles, nous explique la genèse de cette association et ses objectifs pour 2022.

Une idée née en 2018

L’idée d’engager un groupe de travail sur la standardisation des équipements de manutention a démarré en 2018. Lors d’une conférence organisée par la PEMA (Port Equipment Manufacturers Association, association des équipementiers portuaires), Boris Wenzel, directeur général du groupe Terminal Link à l’époque, a parlé de la nécessité pour l’industrie d’adopter des standards afin de favoriser l’innovation, la digitalisation et l’automatisation de l’industrie de la manutention portuaire, et émis la proposition de créer un groupe de travail regroupant les équipementiers et les opérateurs portuaires pour y travailler.

Un travail colossal

« À l’époque je ne pensais pas que ce projet rassemblerait autant de monde. Lors de la première réunion nous avons pu regrouper autour de la table les directeurs techniques et responsables de l’automatisation des membres de la Feport (association européenne des manutentionnaires) ainsi que ceux des principaux équipementiers comme ZPMC, Kalmar, et Hyster. Nous avions plus de 25 sociétés différentes autour de la table », nous a confié Boris Wenzel. Suite à cette première réunion qui a fondé l’initiative « TIC4.0 » , d’autres ont suivi avec un cap à définir. « Nous avions une tâche immense. Comme le disent les anglais, il fallait trouver par quel bout nous allions commencer pour manger l’éléphant ».

L’adhésion de Hutchison Ports

Dès les premières réunions des sociétés comme DP World et Hutchison Ports ont rejoint le groupe de travail. Considérant leur propre standardisation comme un avantage compétitif, les deux sociétés ont dans un premier temps décidé de quitter l’initiative. Une position sur laquelle le groupe de Hong Kong, Hutchison Ports, est revenue depuis que TIC4.0 s’est transformé en une association internationale basée à Bruxelles et a commencé à publier ses travaux. Le 4 décembre, le groupe de manutention chinois a adhéré à TIC4.0. Il reste encore des grands groupes à convaincre, à l’image de China Merchants, Cosco Ports et DP World pour rejoindre les 9 autres grands opérateurs internationaux de terminaux membres de TIC4.0.

Formaliser la méthodologie

La professionnalisation de l’organisation a aussi pu jouer pour inciter le groupe chinois de rejoindre l’association. « Nous avions formé des organes de gouvernance mais en quittant Terminal Link début 2021, j’ai pu consacrer plus de temps à structurer et diriger cette association. Pour apporter du concret aux membres de notre organisation, il fallait notamment formaliser la méthodologie de travail de TIC4.0 et la feuille de route de développement des standards, et surtout lancer la publication des éléments qui ressortaient de nos débats », continue le président de TIC 4.0.

Un premier livre blanc en mars

Dans cette démarche de professionnalisation, la publication des réflexions a pesé. En mars, TIC4.0 a d’abord publié son premier livre blanc, suivi rapidement de trois publications de définitions de standards en mars, mai et octobre. Ces premières publications ont permis d’expliquer la vision des membres de TIC4.0 et de montrer le travail accompli. C’est suite à ces publications que plusieurs grands noms de la filière portuaire ont déjà rejoint l’association dans le courant de l’année et que d’autres sont en négociation, nous a déclaré Boris Wenzel.

L’entrée de fournisseurs d’équipements

L’association regroupe les fabricants d’équipements mais également les fournisseurs de composants comme Bromma et Siemens, et les sociétés de logiciels comme celles qui fournissent les TOS (Terminal Operating System) comme Navis et RBS, et les fournisseurs de solutions technologiques qui sont impliquées dans la digitalisation des opérations portuaires. « En fait TIC4.0 se décline en deux pôles. D’un côté nous avons les opérateurs et de l’autre tous ceux qui fournissent des équipements et technologies pour l’industrie portuaire. »

Accueillir des sociétés de tous les continents et les autorités portuaires

Actuellement, l’association est principalement européenne tout en ayant déjà une dimension internationale. Pour le président, il est important que cette organisation maintenant étende sa représentation internationale et accueille en son sein des opérateurs régionaux venant des continents sud-américains, des États-Unis et d’autres pays d’Afrique et d’Asie. De plus, pour avoir un panel le plus large possible, TIC 4.0 a créé une catégorie réservée aux autorités portuaires et autres organisations qui ont un intérêt de voir le développement de standards dans l’industrie de manutention. Elles sont regroupées, dans l’association, dans une catégorie de membres affiliés sans pouvoir véritablement intervenir, sauf sur invitation, dans les débats sur la standardisation, mais qui leur permet d’assister aux assemblées générales de l’association.

Créer un langage neuf avec sa propre sémantique

Au-delà de définitions, TIC4.0 travaille plutôt à la création d’un langage complétement neuf qui permet de représenter de manière unique et compréhensible tant pour les humains que les machines, toute réalité que l’on peut rencontrer dans un terminal, et qui permet donc aux machines de communiquer entre elles et aux humains de communiquer avec les machines.

Pour y parvenir, TIC a créé sa propre sémantique. « Il s’agit d’une structure de langage qui puisse être employé avec tous les protocoles de communication avec des machines ». Les groupes de travail se penchent sur la création d’un vocabulaire qui puisse être utilisé par les protocoles d’échanges de données et qui puisse être lu entre les machines. Pour cela les définitions doivent être claires et doivent pouvoir s’appliquer de manière universelle sans créer de confusion.

L’exemple du « move » de conteneurs

Ainsi, à titre d’exemple, une des dernières séries de définitions à avoir été publiée est celle qui concerne le mots « move ». Pour un opérateur de terminal, réaliser un mouvement de conteneurs demeure son cœur d’activité. « Pourtant, comme ce terme est utilisé pour décrire un mouvement qui se réalise depuis le navire vers la terre, du terre-plein à camion train ou barge, et peut concerner un conteneur, un EVP, ou bien un panneau d’écoutille, et un mouvement peut constituer un cycle ou seulement la moitié d’un cycle, il est donc primordial que nous puissions tous avoir la même définition pour décrire de manière unique cette opération. Et cette définition doit s’appliquer à la réalité que l’on peut rencontrer dans tous les terminaux du monde », explique Boris Wenzel.

Faciliter la possibilité de créer le digital twin

La standardisation à laquelle s’attache aujourd’hui TIC 4.0 est de disposer d’une sémantique pour toutes les définitions et qui puisse ensuite être digitalisée. « Avec ce travail nous facilitons la possibilité de créer des doubles digitaux (ou digital twin) des terminaux portuaires, à savoir la représentation digitalisée de la réalité d’un terminal ». Chaque opérateur pourrait créer ses propres standards comme certains grands groupes le font, mais en utilisant les standards élaborés par les meilleurs ingénieurs du secteur rassemblés au sein de TIC4.0, cela évite à chacun d’avoir à créer les siens, les tester et par conséquent économiser en termes de temps, coûts et en prise de risque, tout en s’assurant d’une compatibilité parfaite entres les systèmes et équipements qui sont configurés selon les standards TIC4.0.

S’étendre sur les terminaux fluviaux et ferroviaires

Lors de la création de l’association, les membres ont souhaité indiquer dans les statuts qu’ils se réunissent dans le but de travailler pour toutes les opérations de manutention portuaires. Dans un premier temps, TIC se concentre sur les conteneurs. « À moyen et long terme nous souhaitons nous étendre sur les autres activités de manutention, et également promouvoir TIC4.0 auprès des ports ferroviaires et fluviaux. »

Le cap de la norme ISO

Les standards développés par TIC 4.0 doivent maintenant franchir un nouveau cap en devenant des normes internationales reconnues. « Nous avons contacté l’organisation ISO et nous sommes en relation avec un de ses membres afin de démarrer un processus qui fera de nos standards des normes internationales pour les terminaux ». L’association est en relation avec BSI (British Standard Institute), un membre de l’organisation ISO. Cet institut britannique a créé le PAS (Publicly Available Specifications), un protocole qui est adapté à la situation de TIC 4.0 et qui constitue une première étape en vue d’obtenir une homologation internationale des standards dévelopés par TIC4.0.

Disposer d’une reconnaissance internationale

« Nous devons encore aller plus loin dans les définitions que nous avons mises en place avant de constituer des normes ISO. Ce PAS va nous donner cadre et une reconnaissance internationale dans l’industrie car il inclue déjà des étapes de consultations auprès des diverses parties prenantes (« stakeholders ») nécessaires dans un processus d’homologation ISO. C’est une sorte de ISO-light que nous pourrons faire évoluer en normes ISO dans quelques années après avoir étendu le champ des définitions de standards ».

Apprendre à parler TIC

Pour l’année 2022, le président de l’association table sur une publication régulière. « Nous voulons avoir une publication tous les trois mois avec de nouvelles définitions, la prochaine publication est d’ailleurs prévue dans la deuxième quinzaine de Janvier». Ensuite, il nous faut passer dans une autre dimension « en parlant TIC ». L’idée est de passer de la théorie à la pratique. Le président souhaiterait que les membres achètent leurs nouveaux équipements portuaires configurés avec les standards TIC ce qui serait le signe d’adoption des standards par les opérateurs. « Il faut commencer à avoir ce processus d’adoption, car les standards n’ont de valeur que s’ils sont utilisés et les standards déjà créés sont suffisants, et comme l’association regroupe déjà la plupart des grands opérateurs et leurs fournisseurs, nous sommes confiants ».

Un premier financement européen

L’Union européenne soutient l’initiative que l’association a prise. La Commission s’est montrée satisfaite de voir que le privé s’attache à définir des normes dans le secteur. Dès mi-2018, un consortium formé par les premiers adhérents de TIC4.0 a obtenu un financement de l’UE pour aider au financement du fonctionnement de l’organisation et l’élaboration de pilotes pour tester les premiers standards in situ. « Grace au financement du projet Européen iTerminals 4.0, les standards qui ont été élaborés par TIC4.0 ont déjà pu être testés au terminal à conteneurs de Marsaxlokk, à Malte. C’est une première application qui s’est avérée probante. »

Un test sur le terminal de Malte

Le financement de l’UE a permis d’acquérir les capteurs pour récolter les données sur tous les équipements connectés qui sont ensuite envoyées à une plate-forme digitale elle-même reliée au TOS du terminal. Cette plateforme Big Data fonctionnant avec les standards TIC4.0 est une première mondiale qui permet notamment d’identifier avec précision les goulets d’étranglement dans un terminal, mais a également des applications diverses allant de l’optimisation opérationnelle à la détermination de l’empreinte carbone de chaque conteneur. « La collecte de ces données permet de voir quelles sont les améliorations à mener et où se situent les blocages au travers des indicateurs de performance que nous mettons en place », explique Boris Wenzel.

Des standards pour aider aux achats

Les standards ont aussi un but non digital : les achats des équipements. Lorsqu’un terminal acquiert un portique, ce sont dans la grande majorité des outils commandés sur-mesure pour s’adapter aux systèmes existants des terminaux, ce qui augmente leurs coûts. Or, avec les standards communs des deux côtés de l’industrie de la manutention, l’objectif est de simplifier les acquisitions d’outils et de permettre une intégration « plug-and-play » par les opérateurs.