Ports de Normandie : une année 2023 en demi-teinte
Ports de Normandie achève l’année 2023 sur un bilan mitigé. Le trafic des passagers et les activités liées aux Énergies marines renouvelables progressent quand le trafic de marchandises baisse. Nous reprenons, ci-dessous, l’article de Vincent Groizeleau de Mer et Marine.
Regroupant les places portuaires de Caen-Ouistreham, Cherbourg et Dieppe, Ports de Normandie vient de communiquer ses chiffres pour 2023. Une année en demi-teinte qui a connu une hausse importante du trafic de passagers, notamment les ferries vers l’Irlande et la croisière, une montée en puissance des activités liées aux énergies marines renouvelables mais aussi une baisse importante des flux de marchandises.
Transmanche: le rebond du trafic passagers
Du côté des bonnes nouvelles donc, le rebond de l’activité passagers, porté par le développement du trafic transmanche. Les trois ports normands ont ainsi accueilli 1 901 517 passagers, soit une hausse de 9%. Les lignes vers le Royaume-Uni progressent de 6% en moyenne, soit 8 % de hausse pour Ouistreham (742 915 passagers), 5,2% pour Dieppe (391 379 passagers) et 1,5% à Cherbourg (226 024 passagers). Seules les liaisons vers les îles anglo-normandes (Guernesey) reculent, de 23,4% (13 985 passagers). Dans le même temps, l’essor du trafic avec l’Irlande depuis Cherbourg se confirme, puisque ce flux a enregistré en 2023 une hausse de quasiment 20% (325 566 passagers), dépassant son record de 2019. « L’Irlande représente désormais 60 % du trafic ferry à Cherbourg. La diversité des compagnies et des routes ainsi que la qualité de l’offre avec des navires récents ou rénovés expliquent la dynamique cherbourgeoise », souligne Ports de Normandie.
Bonnes perspectives pour l’Irlande, plus d’incertitude pour le Royaume-Uni
Avec une demi-douzaine de navires assurant un service régulier, les lignes Cherbourg-Irlande, exploitées par les compagnies Stena Line, Brittany Ferries et Irish Ferries, devraient continuer à croître selon l’autorité portuaire, qui estime en revanche que les perspectives vers le Royaume-Uni « sont plus incertaines du fait de facteurs économiques propres à ce pays. Par ailleurs, la directive EES (Entry Exit System), qui vise à renforcer les contrôles à l’entrée de l’espace Schengen, est prévue d’être mise en place à l’automne 2024. Elle constitue une source d’inquiétude en raison des nouvelles complexités qu’elle va engendrer et de l’impact négatif qu’elle pourrait avoir sur la gestion des escales, l’expérience clients et les coûts d’exploitation ».
La croisière se redresse
Pour la croisière également, l’année 2023 a été excellente. Si le nombre d’escales (54) a été moins important que l’année précédente (-16), les passagers venus avec les paquebots ont augmenté de 13,5% pour atteindre 215 633 passagers. Ce qui reflète notamment, comme dans d’autres ports, un meilleur remplissage des navires après la longue remontée de l’après-Covid pour l’industrie de la croisière. Les résultats 2023 constituent en tous cas un record pour Ports de Normandie, qui concentre le gros de cette activité à Cherbourg (212 328 passagers), alors que Caen, qui a aussi servi de port de désarmement à plusieurs navires d’expédition, a connu une hausse de 72% (3 305 passagers). « Le retour à des taux de remplissage élevés des paquebots est le facteur principal de cette croissance auquel s’ajoute le travail de fond engagé depuis quelques années sur une offre touristique renouvelée et un soin particulier apporté à la qualité de l’accueil tant à Cherbourg qu’à Caen. 2024 s’annonce donc sous de bons hospices d’autant que plus de 70 paquebots sont attendus entre Caen et Cherbourg ».
Le fret transmanche en baisse
Concernant les marchandises, les chiffres sont moins bons. Le tonnage total réalisé par les trois ports (Caen, Cherbourg et Dieppe) atteint 6 348 Mt, soit une baisse de 9,7%. L’année a été en particulier difficile pour le fret transmanche, qui s’est contracté de 7,3% en nombre de poids-lourds (194 325). Dans le détail, Ouistreham recule de 7% (78 385), Dieppe de 11,5% (26 916) et Cherbourg de 4,5% (6 792). « Ports de Normandie subit à la fois les conséquences du Brexit avec la baisse structurelle des échanges entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne (le marché dans son ensemble enregistre un nouveau recul de l’ordre de 2 % en 2023) et une offre surabondante sur le Détroit entrainant une concurrence acharnée au détriment des lignes de l’Ouest ». Les résultats sont aussi orientés à la baisse sur les lignes avec l’Irlande, qui ont enregistré un repli de 6,5% en 2023 (82 232 poids-lourds). Un recul que l’autorité portuaire normande attribue au développement d’autres lignes entre l’Irlande et l’Europe continentale qui ont renforcé la concurrence, ainsi que par la contraction des échanges intra-européens limitant les échanges depuis et vers l’île.
Conventionnel : une baisse conjoncturelle en tonnage masque le décollage des EMR
Pour ce qui est du fret conventionnel, qui s’appuie désormais beaucoup sur les énergies marines renouvelables, il a enregistré un fort repli en tonnage mais ces chiffres sont trompeurs, souligne Ports de Normandie : « Le développement des activités EMR et surtout la variation du poids des éléments liés à cette activité et transitant par nos ports, démontre à quel point l’indice « tonnage » est à relativiser. En effet, si l’on s’en tient strictement à cet indice, le trafic conventionnel est en repli sensible de presque 25 % (- 350 000 T environ) alors que, sur Cherbourg par exemple, le port enregistre un nombre record d’escales (215 navires conventionnels). La baisse s’explique essentiellement par l’effet « fin de chantier » du dispositif de protection des fondations du parc de Fécamp quand le record d’escales est en très grande majorité lié à la logistique des champs de Courseulles et de Fécamp ».
La filière BTP perd 380 000 t
En tout, la baisse de l’activité construction représente une perte de 380 000 t dans les importations et exportations de granulats marins et terrestres, dont 310 000 pour Cherbourg. Une chute qui est donc essentiellement liée à l’achèvement fin 2022 des travaux anti-affouillement des fondations du parc éolien de Fécamp, qui avaient engendré un fort trafic. S’y ajoute la forte diminution de l’activité « graves de mer » à Dieppe, qui s’est contractée de 18,5 % (- 70 000 T environ) en 2023. Les voyants sont en revanche restés au vert pour les autres secteurs de la construction, les laitiers (+0.8%) et le bois (+41%) qui gagnent 10.000 tonnes à Caen-Ouistreham.
Le secteur éolien a explosé
Comme le souligne l’autorité portuaire, à côté d’un tonnage global en berne, l’activité a pourtant été globalement très bonne, soutenue par le dynamisme de la filière des EMR, générant de nombreuses escales. Non seulement du fait que Cherbourg sert de hub logistique pour l’assemblage des machines de parcs français, mais aussi en raison de l’usine LM Windpower de production de pales d’éoliennes marines qui est implantée sur le port de la pointe du Cotentin. Ainsi, le secteur de l’éolien a explosé en 2023, atteignant un trafic de 122 144 tonnes (+ 690%). Dans le même temps, le trafic de colis a connu une augmentation encore plus significative (14 504 tonnes, + 1760%).
Les marchandises diverses en forte augmentation
Concernant les autres marchandises diverses, le trafic de ferraille a bondi de 1350% (50 576 t). En revanche, souligne Ports de Normandie, les baisses de trafics comme l’attapulgite perd 24% à 35 101, la biomasse (absence de trafic), le broyat de pneus (13 870 t, – 22 %) et le clinker (8 842 t, – 80 %) à Caen-Ouistreham, ainsi que le trafic d’éoliennes à Dieppe, également en repli de 38,7 % à 16 088 tonnes, limitent la progression générale des marchandises diverses, qui ont quand même terminé l’année sur une très forte progression de 46% à 291 621 t.
Les produits agroalimentaires plombés par les céréales
Enfin, les flux liés à l’agro-alimentaire, soit 396 057 t, s’affichent en baisse de 13 %, la diminution de 85 000 t des exportations de céréales à Caen-Ouistreham ayant fait basculer ce flux dans le rouge. Tous les autres courants de ce secteur sont en revanche en progression : + 47,3% pour les importations d’engrais et + 40% pour la nourriture animale à Caen-Ouistreham, + 2,2% pour les importations de mélasse et +16% pour les importations de protéagineux pour Olatein à Dieppe.Enfin, le trafic de produits dangereux à Cherbourg (explosifs et nucléaire) a reculé de 47,4 % à 3014 tonnes.
Pour 2024, Ports de Normandie table sur la dynamique de l’éolien
Concernant les perspectives 2024, Ports de Normandie, qui entend devenir un acteur majeur du développement des EMR en France, table sur une poursuite de la dynamique de l’éolien en mer à Cherbourg. L’année sera marquée par la fin de la construction du parc de Fécamp et le démarrage de ceux de Courseulles-sur-Mer et Dieppe-Le Tréport, ce dernier devant également apporter de premiers trafics au port de Dieppe, qui accueillera la base de maintenance du futur champ éolien et qui doit par ailleurs bénéficier aussi, cette année, du début des travaux du futur EPR de Penly. Caen-Ouistreham pourrait de son côté diversifier ses activités avec le démarrage possible d’un trafic pétrolier à l’automne.
Transmanche: la poursuite des aménagements
Pour ce qui est du transmanche, passée la phase d’organisation provisoire de ses trois terminaux pour faire face au Brexit, Ports de Normandie et ses exploitants portuaires vont poursuivre leurs aménagements avec comme objectif affiché de maintenir la fluidité et la sécurité des flux et offrir aux passagers une qualité de service malgré les contraintes liées au Brexit et à la réglementation EES.
Nouveau terminal de ferroutage
Côté travaux, à Cherbourg, c’est le projet de terminal de ferroutage qui va marquer 2024. Le chantier a débuté fin 2023 et s’achèvera autour de l’été. La construction de ce terminal bénéficie d’un financement européen au titre du MIE (Mécanisme pour l’interconnexion en Europe). Le budget est de 12 M€, financés par la Région Normandie, le département de la Manche, la Communauté d’agglomération du Cotentin et l’Europe.
Courant quai : études en cours pour les travaux en 2025
En ce qui concerne le branchement à quai des navires en escale au courant électrique terrestre, les études techniques d’électrification des postes accueillant ferries et paquebots débutent. « Ce sont plus précisément les raccordements du terminal croisière de Cherbourg et du terminal transmanche de Ouistreham qui seront réalisées. Parallèlement, les échanges avec nos exploitants et les compagnies ferries vont se poursuivre afin de fixer le modèle économique de cette transition. L’objectif est de débuter les travaux d’aménagement en 2025. Le budget global de l’opération sur les trois ports est de 36 M€ », détaille Ports de Normandie.
De nouveaux investissements pour le Transmanche
Dans le même temps, 2 M€ sont consacrés à l’amélioration de l’accueil des ferries au poste 4 de Cherbourg. Ils vont s’achever avec un pieu d’amarrage supplémentaire. À Dieppe, le travail sur le projet d’extension du terminal transmanche continue (évaluation environnementale, consolidation de sa viabilité économique et premières études techniques) : « Selon la vitesse d’avancement du projet, la concertation publique pourrait débuter cette année, lorsque nous serons en mesure de présenter un projet abouti sur lequel le public pourra se prononcer. En 2024 se dérouleront les études de sol les études juridiques et économiques ». Le budget de ce projet, dont les études sont financées pour moitié par le MIE, est de 1,5 M€ ». À Dieppe encore, des travaux d’agrandissement de la gare transmanche vont être effectués pour 2,3 M€ afin de relocaliser les bureaux de DFDS, l’exploitant de la ligne Dieppe-Newhaven. Enfin, à Caen-Ouistreham, Ports de Normandie étudie la possible extension du terminal transmanche. « Le calendrier de ce projet dépend de celui de la mise en place de la directive EES. Il pourrait entrainer le déménagement de nos ateliers ainsi que celui des Phares et balises ».