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Port autonome de Cotonou: de la modernisation des installations à la logistique portuaire

Le Port autonome de Cotonou tente de s’imposer dans le concert des ports d’Afrique de l’ouest. Il a modernisé ses installations. Le port béninois cherche aujourd’hui à développer sa logistique portuaire.

Porte stratégique, le Bénin est au cœur du marché ouest-africain d’environ 400 millions de consommateurs. Le pays ambitionne d’entrer dans le « club » des pays émergents d’ici quelques années. Avant la crise de la covid-19, il visait une croissance à deux chiffres. Le Bénin pourrait relancer son économie en renforçant sa position de porte d’entrée et de sortie pour les pays sans littoral et en dynamisant son arrière-pays. Nous avons voulu recueillir l’appréciation d’Armand Hounto, un expert portuaire et spécialiste des corridors africains, sur la récente modernisation portuaire et les projets en cours de réalisation.

Modernisation des installations portuaires

Ports et Corridors : La modernisation du port autonome de Cotonou (PAC) est en marche. Dans quel cadre l’autorité portuaire doit-elle envisager ces nouveautés?

Armand Hounto; Le PAC contribue à 60% au PIB du Bénin et mobilise plus de 90% des recettes intérieures c’est dire à quel point sa modernisation est nécessaire y compris pour contribuer au classement Doing Business de la Banque mondiale. Sur le plan opérationnel, d’importants travaux de modernisation ont été réalisés permettant d’accueillir de grands navires tels que le Mærsk Sarat d’une capacité totale de 9 000 EVP. De plus, les travaux prévus dans le cadre de l’extension du bassin portuaire ouest permettront de disposer dans un futur proche d’un tirant d’eau de 15m tant dans le bassin qu’au niveau des souilles des quais.
Par souci d’efficacité, de connectivité et de performance logistique, il serait utile de repenser le plan d’investissement du Port autonome de Cotonou dans un cadre global de desserte de l’arrière-pays. Il faudrait envisager les investissements dans le port avec une vision intégrée des projets industriels, miniers et agricoles du pays.

Moderniser Cotonou ou construire un port à Sémé?

P&C : Quand la modernisation du port de Cotonou a été validée, une autre alternative visait à construire un nouveau port à Sémé. Pensez-vous qu’il faille reconsidérer la construction d’un nouveau port sur le territoire béninois?

A.H: Lorsque la question d’un port en eaux profondes à Sèmè pour soulager le PAC me fut posée il y a 10 ans, j’avais plutôt préconisé des travaux de modernisation des infrastructures existantes (dont l’approfondissement du chenal récemment réalisé au port) en attendant que les conditions logistiques et de marché soient favorables à la construction d’un 2ème port. Comme spécialiste en aménagement du territoire, je pensais que des mesures particulières pourraient contribuer à soulager la pression sur l’infrastructure actuelle. Comme étudiant à la Sorbonne et ensuite comme consultant, j’ai eu l’occasion de développer une expertise des corridors africains en général et celui qui relie le Bénin au Niger en particulier. La congestion portuaire et les contraintes d’espace font partie des raisons qui avaient conduit les acteurs de l’époque à envisager la construction d’un second port.
La congestion causée par les camions dans la ville de Cotonou a été partiellement réglée par la montée en puissance du port sec d’Allada et la gestion des accès au PAC. Je n’écarte cependant pas la nécessité d’un nouveau port en eaux profondes en temps opportun et tenant compte des conditions de marché. Il faudrait d’abord s’assurer de la rentabilité des récents investissements pour moderniser le PAC. Ensuite, il faudrait surveiller l’augmentation de la capacité portuaire dans le golfe de Guinée au regard de l’évolution du marché et du risque de surcapacité régionale. Pour éviter une surcapacité sur la façade Afrique de l’ouest et du centre, les États devraient s’orienter vers une réflexion stratégique en matière de politique publique de transport. Des ports en eaux profondes ont été construits avec des fortunes diverses. Preuve qu’à lui seul le tirant d’eau ne suffit pas, d’autres conditions s’appliquent. Afin d’accroître sa contribution aux recettes fiscales, tout port en eaux profondes à vocation de hub régional devrait mettre en œuvre les stratégies pour maintenir le trafic transbordé tout en augmentant le trafic domestique.

Une zone logistique pour faire du stockage

P&C : Le Port autonome de Cotonou prévoit de construire une zone logistique dans la circonscription portuaire. Comment imaginez-vous le rôle de cet espace logistique?

A.H: La construction d’une zone logistique de 43 hectares est prévue dans la zone portuaire. Il sera intéressant de voir les concepts d’exploitation et les spécifications de conception pour les déterminer la prise en considérant ou non des déterminants de la réussite d’un tel projet. D’après nos informations, la zone logistique fonctionnerait comme plateforme de stockage au service des distributeurs et importateurs/exportateurs de la sous-région. Plus généralement, un tel projet nous ramène à la nécessité d’optimiser la connectivité à destination de l’hinterland. L’équilibre coût du transport du terrestre – transit time – temps et coût du passage portuaire compte pour les expéditeurs et importateurs. Il serait utile d’envisager une politique publique de mobilité des marchandises en transit.

P&C : Un projet émerge de construire une zone économique spéciale dans la commune de Glo-Djigbé. L’incitation pour l’implantation des industriels est principalement axée sur l’aspect fiscal. Pensez-vous qu’il s’agisse de la meilleure solution pour attirer les entreprises?

Nous suivons le projet avec intérêt. Arise (joint-venture entre Olam International et Africa Finance Corporation) construira sur 1 414 hectares la future zone industrielle de Glo-Djigbé (GDIZ) sur le modèle de la Zone économique spéciale de Nkok au Gabon, et de celle de la Plateforme Industrielle d’Adetikopé au Togo. Si elles sont correctement conçues en Afrique, ces zones industrielles pourraient contribuer à corriger la structure macro-économique des économies grâce à la transformation locale.

Mettre en équation le coût des facilités fiscales et les retombées économiques

En général, les gouvernements mettent à disposition le foncier et confient la mobilisation du financement, la construction, la gestion locative et immobilière à un groupe privé. Mais nous savons que construire des espaces ne suffit pas à garantir la rentabilité desdites plateformes. L’approche uniquement fiscale qui s’applique à la majorité des zones économiques spéciales africaines devrait évoluer.

En vue d’une meilleure appréciation, il serait utile de mettre en relation le coût des facilités fiscales en relation avec les retombées socio-économiques attendues. Il ne faudrait pas perdre de vue que les contrats en partenariat public-privé (PPP) et autres financements des états africains exercent une contrainte sur la croissance de leurs budgets. C’est pourquoi nous insistons sur la rentabilité des projets, en espérant que le Bénin tire la meilleure part de ses investissements. En effet, les incitatifs ne devraient pas être uniquement fiscaux, il faudrait également mettre en place un écosystème logistique performant qui garantisse la compétitivité des industries. C’est pourquoi il est indispensable d’intégrer les projets industriels dans une vision logistique globale. Je suggère de concevoir et cartographier un réseau logistique performant au service des plateformes industrielles et logistiques. Ce réseau permettra aussi d’engager un report modal grâce aux infrastructures de transport massifié.

Les dessertes terrestres pour optimiser la logistique portuaire

P&C:  Le corridor ferroviaire entre le port de Cotonou et le Niger fait défaut selon plusieurs commentateurs. Quelles sont, selon vous, les investissements terrestres à réaliser pour l’optimisation des chaînes logistiques?

A.H: L’absence d’infrastructures ferroviaires constitue un véritable goulot d’étranglement de la logistique en Afrique. Le Bénin pourrait relancer son économie post-covid-19 en renforçant sa position de porte d’entrée et de sortie pour les pays sans littoral et en dynamisant son arrière-pays. Pour y arriver, il faudrait construire un corridor logistique multimodal pour desservir l’hinterland. Cela passe par des routes de qualité et correctement dimensionnées et par le redimensionnement et le prolongement du corridor mer-rail qui reliera le Port autonome de Cotonou à la ville de Niamey (Niger).

Avec le cabinet ITP, nous avions estimé le coût des infrastructures et fait l’étude de la demande de transport il y a de cela quelques années. Plusieurs éléments clés assurent un marché pour le transport ferroviaire. Les investissements sont importants mais nécessaires compte tenu de la demande de transport que nous avons évaluée. Le Bénin et le Niger pourraient dans un premier temps cofinancer ce corridor pour ensuite le connecter à la boucle ferroviaire régionale en temps opportun. Le port sec d’Allada s’insère parfaitement dans ce projet de corridor ferroviaire. Il reste que Parakou devienne un point nodal logistique avec le Niger.

Le rail est un élément déterminant de cet objectif puisqu’il est question de corridor multimodal. Les avantages du transport ferroviaire en termes de transport des matières dangereuses (il s’agit ici en autres de souffre), de coût des tonnes-kilomètres transportées, de sécurité, de réduction de l’impact environnementale et de préservation des routes sont évidents.

P&C: D’autres travaux sont en cours actuellement en Afrique de l’ouest. Pensez-vous qu’ils pourraient avoir un effet pour le Port autonome de Cotonou?

A.H: Cela est juste. Il faut rappeler brièvement ces différents projets ferroviaires et routiers. En premier lieu, le projet ferroviaire entre le Nigeria et le Niger (Lagos-Kano-Matadi) s’imposera face à Cotonou. Ensuite, la future autoroute Lomé-Cinkassé sera une facilité pour le trafic à destination du Burkina Faso. Enfin, le corridor ferroviaire Tema-Ouagadougou venant en complément de la route existante pourrait prendre des parts de marché au PAC.

Arrivé à ce point de notre propos, je pense que ces projets pourraient exercer une pression sur le trafic en transit à destination du Burkina Faso et du Niger via le port autonome de Cotonou et réduire du coup sa performance. Tant et si bien qu’une stratégie logistique intégrée et performante devient un point crucial qui projecterait le pays dans un rôle sous régional clé.

Armand Hounto, consultant port, conteneurs, shipping
Armand Hounto, consultant, nous livre son analyse de la situation en Afrique de l’ouest.

Armand Hounto est consultant chez International Trade Partners. Il a mené de nombreuses missions auprès des ports d’Afrique et d’Amérique. Il est également conseiller en Transport Maritime au ministère des Transports au Canada. Ses analyses en économie maritime, logistique et gestion portuaire en Afrique sont mondialement reconnues. Il a su donner à la logistique portuaire africaine une nouvelle dimension avec une approche plus financière et économique.