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SITL 2021 : la crise de la conteneurisation vue par les opérateurs de la chaîne logistique

Le 13 septembre, le Maritime Day a démarré par une conférence sur le marché actuel de la conteneurisation. Entre chargeurs, armateurs, commissionnaires et ports, le débat a permis de comprendre les analyses de chacun. Au final, aucune partie n’est pointée du doigt, chacun a sa part de responsabilité.

Le Maritime Day de la SITL 2021 s’est ouvert sur la situation actuelle du marché de la conteneurisation. Pour poser le débat, Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, est revenu sur la situation actuelle. Avant de commencer, il a rappelé que fin 2019, les armements étaient dans une situation financière compliquée. « Ils ont dû faire face, le 1er janvier 2020, à l’entrée en vigueur des nouvelles normes de l’OMI en matière d’émissions. Et ils ont su s’adapter rapidement dans des délais très courts ».

Les blanks sailings, une arme défensive

Ensuite, à la fin de l’année 2019, la mise en place de blanks sailings (annulations d’escale) sont intervenues « dans une démarche défensive. Les armateurs ont mis en place ces blanks sailings pour leur éviter de perdre encore plus d’argent », a rappelé Jérôme de Ricqlès. Selon l’expert maritime, c’est en mars 2020 « que le marché a changé de mains ».

Les compagnies maritimes ont géré les blanks sailings de façon à avoir une offre des plus précises en fonction de la demande. Enfin, le contexte actuel met en lumière qu’il n’existe plus, comme dans la période pré-Covid, une saisonnalité. « La demande pousse de façon désordonnée. Et dans cette situation, les outils de supply chain tel qu’Oracle sont perdus. »

S’équiper avec de nouveaux navires et conteneurs

Ces changements de paradigme profitent aujourd’hui aux armateurs. « Il ne faut pas oublier qu’au préalable, les armateurs ont enregistré des bilans financiers moyens et même des résultats financiers négatifs », a souligné Claus Elleman-Jensen, directeur général Hapag Lloyd France. En engrangeant des résultats positifs sur le premier semestre 2021, les armateurs veulent les consacrer à se doter de nouveau équipements. (Claus 6 :03 à 6 :23).

Une augmentation du marché de 6%

Globalement, le marché a augmenté de 6% en 2021 par rapport à 2019, a expliqué le directeur général de Hapag Lloyd. Pour faire face à cette croissance du marché, « nous avons besoin de 16% de plus en termes de conteneurs parce que les choses se sont ralenties au niveau des ports et de toute la chaîne de transport ». Les armements ont alors été confronté à un choix cornélien : avec qui travailler et à qui refuser des espaces.

 

La communication avec le client

Dans ce maelstrom compliqué, les commissionnaires, intermédiaires entre chargeurs et compagnies maritimes, ont été confrontés à des situations inédites. Pour faire face, « le maître mot a été la communication avec les clients », a souligné Arnaud Zani, directeur Air&Sea de DSV France. Parmi les alternatives offertes aux commissionnaire, la possibilité de relier l’Asie et l’Europe par voie ferroviaire.

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Au quotidien, assurer des services aux clients quand les espaces se raréfient sur les navires et que les équipements sont difficiles n’est pas chose aisée. Pour le responsable de DSV, il s’est agi de proposer aux clients d’acquérir des équipements. Quant aux espaces à bord des navires, il a fallu gérer au plus fin, « au jour le jour ».

Si la presse se fait l’écho des sinistres de porte-conteneurs et de rouliers, comme l’Ever Given, le Golden Ray et d’autres, en 2020, ce sont les vraquiers et les cargos qui ont le plus souffert. Ensemble, ces deux catégories ont représenté 20 pertes totales. Pour leur part, les porte-conteneurs n’ont enregistré qu’une perte totale. Enfin, les pétroliers et les chimiquiers ont enregistré une seule perte totale pour chaque catégorie.

Des commissionnaires considérés comme des partenaires

Pour tenter de trouver des solutions, le groupe Arkema a fait le choix d’avoir deux principaux commissionnaires en transport qui travaillent dans le monde entier. Une décision qui permet d’avoir avec ces deux partenaires des relations étroites pour avoir des informations précises sur l’état du marché et des règlementations.

 

Pour aller au-delà de la crise actuelle, Yves Antoine imagine que le « monde d’après » se réalisera avec de nouvelles relations entre les opérateurs. Les taux de fret connaîtront un retour à des niveaux moins élevés sans retomber à ceux de la période pré-crise sanitaire. À la direction logistique du groupe chimique français, l’heure est à trouver des solutions pour changer sa façon d’appréhender la supply chain du groupe en créant ses propres outils pour être au plus près du marché. Enfin, cette crise a affecté considérablement les choix de sourcing et d’approvisionnement du groupe Arkema.

La résilience du monde portuaire

Entre tous ces acteurs, les ports ont été accusés d’être le maillon faible de la chaîne logistique. Pour Kris Danaradjou, directeur général adjoint en charge du développement de Haropa Port, cette crise a révélé la résilience du monde portuaire. L’ensemble portuaire Haropa a vu le retour de la croissance des trafics intervenir dès le mois de septembre 2020. « Nous devrions terminer l’année à environ 3 MEVP, ce qui va en faire une des meilleures années sur la dernière décennie », a continué Kris Danaradjou.

Face aux changements intervenus dans la logistique maritime, Haropa a été touché par les blanks sailings. Des armateurs ont annulé de nombreuses escales dans de nombreux ports d’Europe du nord mais, « Haropa tire son épingle du jeu avec une soixantaine d’extra call, à savoir des escales non programmées qui se sont réalisées sur les terminaux d’Haropa. Cela nous a permis de nous positionner comme port de délestage. »

« Nous ne sommes pas sortis d’affaire »

Quant à l’avenir, Jérôme de Ricqlès a été clair : « nous ne sommes pas sortis d’affaire ». Les progressions de trafic se font aujourd’hui principalement sentir sur les taux FAK. Selon Jérôme de Ricqlès, la stabilité de ces taux ne va pas entraîner automatiquement un arrêt des hausses sur les taux contractuels. Et pour l’expert maritime, la priorité est de « re-métronomiser les services et les cadencer c’est le meilleur service que les compagnies maritimes pourront rendre à leurs clients ». Et pour aller plus loin, il a affirmé que « la re-métronomisation des navires est la clé de la sortie de crise ». Autre sujet qui reste encore suspendu : la disponibilité en conteneurs. « Les compagnies maritimes jouent le jeu du rapatriement des conteneurs vides dans les marchés qui en ont besoin ».

Des camions entre la Chine et la France

Dans les alternatives qui peuvent se présenter face au manque d’espaces, Arnaud Zani, de DSV, a indiqué qu’aujourd’hui des ensembles routiers assurent des liaisons entre la Chine et l’Europe, notamment vers la France, le Royaume-Uni, l’Espagne ou encore le Danemark. Autre solution parfois utilisée, le ferroviaire depuis le centre de la Chine vers l’Europe. Pour Arnaud Zani cette solution reste malgré tout déjà congestionnée. De plus, des travaux sont en cours sur les faisceaux ferroviaires qui retardent les livraisons. « Nous avons plus de 6000 conteneurs en attente d’être livrés par ce mode », indique Arnaud Zani.

Des investissements dans les ports

Dans cette situation difficile, les chargeurs se sentent aussi une part de responsabilité à opérer des changements. Le temps où sur un claquement de doigt, le chargeur pouvait avoir un camion ou un navire à sa disposition est révolu. Du côté portuaire, il est important que des investissements se réalisent pour éviter de tomber dans les conséquences que des ports américains et chinois ont connues. Ainsi, Haropa prévoit d’ajouter 700 m linéaires de quai dans les terminaux de Port 2000. L’autre sujet sur lequel les ports se penchent actuellement concerne les nouvelles technologies. Enfin, la congestion portuaire peut se résoudre avec une meilleure fluidité des opérations intermodales.

Sur le gel des taux de fret annoncé par CMA CGM, il s’agit pour bon nombre des intervenants, d’une opération de communication. Le groupe français a fait une annonce tonitruante sur le sujet alors que d’autres le font depuis plusieurs semaines, à l’image de Hapag Lloyd qui s’est abstenu de toute annonce. Pour Arnaud Zani, cette annonce concerne principalement les taux FAK et pas forcément les contrats de longue durée. Yves Antoine a aussi relativisé cette annonce. Les principaux segments du marché se font surtout sur les taux pour les contrats à long terme. Et Jérôme de Ricqlès remet les choses en perspective. « Les taux FAK concernent 15% des volumes ».